Mieux comprendre les interactions entre les cellules immunitaires et les cellules cancéreuses à l’aide de modèles informatiques

Résultats scientifiques Informatique

L’immunothérapie est actuellement largement utilisée pour lutter contre une grande variété de cancers. Bien qu’efficace, les cellules cancéreuses développent souvent des résistances contre l’immunité, permettant de se « cacher » du système immunitaire des patients. Afin de mieux comprendre et ainsi améliorer l’efficacité de ces traitements, un modèle orienté agents a été développé, sur les interactions entre les cellules immunitaires (lymphocytes T cytotoxiques) et les cellules cancéreuses. Ces travaux sont le fruit d’une longue collaboration entre l’équipe REVA/Onko3D de l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT - CNRS/Université Toulouse 1 Capitole/Université Toulouse 2 Jean Jaurès/Université Toulouse 3 Paul Sabatier/INP) et l’Institut des Technologies Avancées en sciences du Vivant, ainsi que l’équipe de dynamique moléculaire des interactions lymphocytaires (Centre de Recherches en Cancérologie de Toulouse et département d'anatomopathologie de l’ Institut Universitaire du Cancer de Toulouse).

Afin de ralentir la progression des tumeurs, diverses stratégies sont actuellement employées pour améliorer les réponses immunitaires humaines par le biais de lymphocytes T cytotoxiques (CTL) chez les patients atteints de cancer. Il est connu que les cellules tumorales présentent divers mécanismes de résistance à l'attaque des CTL et que le microenvironnement tumoral est affecté par de multiples mécanismes d'inhibition cellulaire immunitaire. Il est donc essentiel d’améliorer l'efficacité du CTL humain contre les cellules cancéreuses. Une meilleure réponse des CTL pourrait être utile pour améliorer les stratégies thérapeutiques basées les CTL et limiter l’échappement des tumeurs de la surveillance immunitaire.

Dans ce contexte, une question clé non résolue concerne la définition de la capacité létale par individu des CTL humains. Il est en effet crucial de comprendre la dynamique interne de l'interaction entre le CTL humain et les cellules tumorales pour définir l'efficacité de chaque CTL face aux cellules cancéreuses pendant une période prolongée. Malheureusement, l'obtention de données in vitro sur la capacité létale individuelle des CTL chez l'humain nécessite la visualisation d'un grand nombre d'interactions entre les CTL individuels et les cellules cibles au moyen d'une microscopie à intervalle de temps dans des conditions expérimentales ne mettant en jeu qu’un CTL contre quelques cellules tumorales. Cette approche est techniquement difficile et complexe à extrapoler aux milieux cliniques.

Pour surmonter ce goulot d'étranglement technique, un modèle orienté agents a été conçu, calibré à l’aide de données expérimentales, qui reproduit avec précision les interactions entre les CTL humaines et les cellules tumorales qui se produisent dans une boîte de culture. Cette approche in silico permet d'analyser les données et de modéliser les résultats in vitro obtenus au niveau de la population et de les extrapoler au niveau unitaire. Il permet également de disséquer des comportements cellulaires individuels qui ne pouvaient pas être analysé par des expériences in vitro standard. De plus, divers scénarios complexes d'interaction CTL/cellules cibles (expériences sur plusieurs jours, étude d'un grand nombre de ratios effecteur/cible (E/C), etc.) peuvent être explorés in silico.

Le modèle développé permet d’analyser les comportements de chaque cellule du système à partir de données obtenues au niveau de la population, rendant l’étude des mécanismes plus simples. Une fois paramétré avec des données biologiques, le modèle permet aussi de prédire les résultats d’une expérience et ainsi de proposer des outils pour développer des protocoles expérimentaux plus efficaces. En particulier, le modèle a proposé une nouvelle utilisation des cellules immunitaires basé sur de multiples injections permettant d’augmenter leur efficacité. Ce protocole a été validé avec succès in vivo sur des souris.

Le modèle in silico développé a permis d’obtenir de nouveaux résultats améliorant la compréhension du système. Tout d'abord, il révèle une activité de surmortalité des CTL dans l'ensemble de la population, confirmant ainsi les données expérimentales obtenues au niveau de la cellule unique précédemment rapportées. Deuxièmement, il souligne que la capacité létale individuelle des CTL est plus élevé lorsque les ratios E/C sont plus faibles. Troisièmement, il met en évidence une faiblesse globale du CTL pour contrôler la croissance tumorale sur une période prolongée, même à des ratios E/C élevés. Enfin, une prédiction importante du modèle est que l'ajout séquentiel de nouvelles cohortes de CTL améliore l'efficacité des CTL pour contrôler la croissance tumorale. Les chercheurs ont mis en œuvre ce protocole expérimental et obtenu des résultats in vivo qui confirment la prédiction du modèle. Ces résultats pourraient être utiles pour des études translationnelles visant à établir/améliorer des protocoles thérapeutiques personnalisés basés sur l’amélioration de l'efficacité du CTL contre le cancer.

 

Référence

Khazen, R., Müller, S., Lafouresse, F., Valitutti, S., & Cussat-Blanc, S. (2019). Sequential adjustment of cytotoxic T lymphocyte densities improves efficacy in controlling tumor growth. Scientific Reports (Nature Publisher Group)9, 1-11.

Contact

Sylvain Cussat-Blanc
Maître de conférence à l'Université Toulouse 1 Capitole, membre de l'IRIT