Jean-Gabriel Ganascia
Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia : « Intégrer l’intelligence artificielle dans les humanités numériques et dans la réflexion sur l’éthique »

Distinctions

Jean-Gabriel Ganascia intègre l’Institut Universitaire de France en tant que membre senior au 1er octobre 2015. Spécialiste d’intelligence artificielle et d’apprentissage machine, fort de sa double formation en informatique et en philosophie, ses recherches portent aujourd’hui sur le versant littéraire des humanités numériques, sur la philosophie computationnelle et sur l’éthique des technologies de l’information et de la communication.

 

Qu’est-ce que recouvrent les humanités numériques ?

Le mot « humanités » doit s’entendre ici au sens anglo-saxon qui recouvre les sciences de la culture, c’est-à-dire l’ensemble des disciplines qui étudient les œuvres et les activités humaines comme l’histoire, l’anthropologie ou la musicologie. Les sciences du numérique leur ouvrent des perspectives neuves, qui ne se résument ni à un simple outillage, ni à des commodités pratiques. Pour le comprendre, rappelons que les sciences de la nature prétendent à une certaine objectivité tandis que les sciences de la culture procèdent à des interprétations qui donnent sens aux traces laissées par les hommes. Les outils numériques leur apportent des outils d’interprétation inédits qui servent à valider des hypothèses de travail et, parfois, à suggérer de nouvelles voies d’investigation. 
Dans ce champ des humanités numériques, je me consacre plus particulièrement aux études littéraires. La génétique textuelle examine les brouillons des auteurs, pour mieux appréhender le processus de construction des œuvres et les lire de façon diachronique. Nous avons mis en place un logiciel pour aider à saisir l’évolution d’un texte en comparant automatiquement ses versions successives. Nous travaillons aussi sur de nouvelles approches de la stylistique fondées sur l’extraction de patrons syntaxiques récurrents caractéristiques d’un auteur, d’un personnage dans une pièce de théâtre, d’une époque ou d’un genre. Dans le cadre du Labex OBVIL, l’Observatoire de la vie littéraire, nous abordons l’intertextualité, c’est-à-dire les liens entre les textes : les auteurs s’influencent mutuellement, ils baignent dans la culture de leur époque, et il est possible d’en retrouver des traces en extrayant automatiquement des citations, des réemplois ou des références à des ouvrages lus. À titre d’illustration, au XIXe siècle, les scientifiques ont grandement influencé les auteurs littéraires. Ainsi, Balzac avait été marqué par la mode de la phrénologie et de la physionomie, qui établissaient des liens entre le psychisme des individus et la forme de leur crâne ou de leur visage ; grâce à nos logiciels, on en retrouve la trace dans les descriptions de ses personnages. Nous utilisons aussi des moteurs sémantiques pour déterminer des constellations de concepts et de notions qui sont réutilisés dans le temps. Nous travaillons également à assouplir les techniques de détection de plagiat. Pour voir si un texte est repris, nous ne nous contentons pas de retrouver une séquence de mots à l’identique, car certains d’entre eux ont pu être changés. L’apport de l’intelligence artificielle passe par l’emploi de techniques de traitement automatique des langues, de fouille de textes et d’extraction d’information. Sur ces sujets, en plus de mes échanges avec les collègues de la Sorbonne, je suis en train de démarrer des collaborations avec l’Université de Stanford et l’Université de Chicago.

Vous vous consacrez également à des travaux sur l’éthique des technologies de l’information.

Effectivement, je suis d’ailleurs membre du Comité d’éthique du CNRS (COMETS) et de la Commission de réflexion sur l’Éthique de la Recherche en sciences et technologies du Numérique d’Allistene (CERNA). Nous travaillons par exemple sur le partage de données et de connaissances. À l’ère du Big Data, il y a un besoin de mise en commun des informations et, en même temps, les individus souhaitent protéger leur vie privée et conserver leurs données personnelles. De même, chaque laboratoire doit pouvoir faire valoir la paternité de ses propres recherches. Dans un autre registre, nous venons de remettre un rapport sur les sciences participatives et citoyennes avec le COMETS. Ces pratiques existent depuis longtemps en astronomie par exemple où les amateurs jouent un rôle important dans les découvertes par les observations qu’ils transmettent. Avec internet et le crowdsourcing, cette collecte de données scientifique par des amateurs touche de plus en plus de domaines comme l’écologie, les sciences de l’homme et même les mathématiques. Enfin, dans le cadre de la CERNA, nous avons rédigé un rapport sur les questions éthiques soulevées par le déploiement de robots dans les différentes sphères de l’activité humaine. Les perspectives ouvertes par le développement des systèmes d’armes autonomes leur donne une actualité vive. 
Indépendamment de mes travaux sur l’éthique des ordinateurs, je travaille aussi dans le cadre du projet ANR EthicAA (Éthique et Agents Autonomes) sur l’éthique calculatoire. Il s’agit de décrire les différents systèmes éthiques à l’aide de techniques de représentation des connaissances issues de l’intelligence artificielle. La question des dilemmes éthiques, qui vient des conflits de normes, pose des problèmes scientifiques intéressants. Le partage d’autorité entre systèmes autonomes et agents humains aussi. Ces questions apparaissent aujourd’hui importantes : on sait, par exemple, que la plupart des accidents d’avion sont désormais dus à des erreurs humaines et non à un matériel défaillant…

Contact

Jean-Gabriel Ganascia
Professor at Sorbonne Université, member of LIP6