Nicolas Behr, la théorie de la réécriture catégorielle dans les sciences du vivant
Nicolas Behr a rejoint l'Institut de Recherche en Informatique Fondamentale (IRIF - CNRS/Université de Paris) en 2020 en tant que chargé de recherche CNRS.
Quel est votre domaine de recherche ?
Nicolas Behr : Je suis un expert en théorie de la réécriture catégorielle, développant la théorie des tracelets et de la mécanique stochastique pour l'analyse de problèmes dans les sciences du vivant et dans des domaines théoriques connexes tels que la combinatoire et la science des réseaux. Bien que les règles de réécriture individuelles permettent d'implémenter un modèle de réactions organo et biochimiques, c'est bien (et surtout) la notion de voies (c'est-à-dire de séquences coordonnées de réactions) et de leurs interactions dynamiques stochastiques qui est mathématiquement encodée via la théorie des tracelets. L'objectif à long terme de mes recherches est d'arriver à une compréhension de type "bottom-up" des comportements complexes des systèmes réactionnels, ceux-ci permettant idéalement des prédictions (approximatives) de ces comportements à partir de la seule connaissance des molécules et des réactions elles-mêmes. Cela offrirait en particulier une nouvelle perspective pour la recherche sur le cancer et la pharmacologie. Les systèmes de réaction dans les organismes vivants sont notoirement connus pour être combinatoirement extrêmement complexes, non seulement en termes de nombre de types de molécules pertinentes, mais aussi en termes de variété de réactions accessibles au système donné. Pour cette raison, il est souhaitable d'incorporer des méthodes théoriques et, idéalement, des algorithmes efficaces en termes de calculs issus de la combinatoire énumérative. Ceci afin d'analyser statiquement les systèmes de réaction, où les tracelets jouent le rôle de la structure combinatoire relevante. Le principal défi de ce programme de recherche consiste alors à développer un analogue des techniques de fonctions génératrices pour les systèmes dynamiques stochastiques. Étant donné la nature interdisciplinaire de mon travail, et afin de fournir un forum régulier pour interagir avec la communauté plus large de la théorie de la réécriture, je coorganise une série de séminaires internationaux en ligne (GReTA -- Graph TRansformation THeory and Applications) avec Reiko Heckel (Université de Leicester) et Jean Krivine (IRIF), comprenant des événements réguliers deux fois par mois et une chaîne YouTube pour présenter les séminaires enregistrés.
Qu’avez-vous fait avant d’entrer au CNRS ? Pourquoi avoir choisi le CNRS ?
N. B. : J'ai une formation initiale en physique expérimentale et en biophysique, domaines que j'ai étudiés à l'Université Humboldt de Berlin. Parallèlement à mes études, j'ai travaillé comme assistant de recherche avec Thomas Krist à l'Institut Hahn-Meitner dans le domaine de l'optique neutronique, et à l'Institut Max-Born de Berlin avec Markus Raschke (maintenant à l'Université du Colorado Boulder) dans le domaine de l'optique non linéaire. Vers la fin de mes études, je me suis fortement intéressé à la physique mathématique, notamment en raison d'une série de conférences inspirantes données à l'HU Berlin par le célèbre physicien allemand Hermann Nicolai de l'Institut Max-Planck à Golm. J'ai décidé de me reconvertir dans la physique mathématique, en obtenant un diplôme puis un doctorat dans cette matière afin de travailler au MPI Golm sous la supervision de Stefan Fredenhagen (aujourd'hui à l'Université de Vienne). Après un premier postdoc en physique mathématique auprès d'Anatoly Konechny à l'Université Heriot-Watt d'Edimbourg et un travail en tant que chargé de cours suppléant en mathématiques à HWU, j'ai commencé à collaborer avec Vincent Danos, alors au “Laboratory for Foundations of Computer Science (LFCS)’’ de l'Université d'Edimbourg. L'objectif de cette collaboration était d'introduire certaines techniques issues de la physique statistique et de la théorie des chaînes de Markov dans le domaine de la biologie des systèmes, et plus particulièrement dans l'approche de la modélisation à base de règles des systèmes de réaction biochimique. Comme V. Danos a été nommé professeur au DI-ENS pendant cette période, son équipe de recherche financée par l'ERC a commencé à déplacer progressivement ses activités à Paris, ce qui signifie que je visitais fréquemment l'ENS Paris ainsi que mon Institut d'accueil actuel, l'IRIF, et que j'ai finalement passé un an comme visiteur de longue durée à l'ENS. J'ai ensuite obtenu une bourse individuelle Marie Skłodowska-Curie Actions pour mener un projet de recherche à l'IRIF en collaboration avec Jean Krivine, développant un cadre catégorique général pour les algèbres dites "de règles". Avant de rejoindre le CNRS à l'automne 2020, j'ai travaillé en tant que Short-Term Fellow au CRI Paris.
De mon point de vue personnel, l'un des principaux attraits du CNRS en tant qu'organisme de recherche est sa capacité à soutenir des recherches fondamentales et transdisciplinaires telles que celles que je mène depuis mon entrée en informatique théorique. Il arrive souvent que mes projets fassent appel à des collaborateurs venant d'horizons très divers, c'est pourquoi j'apprécie beaucoup le degré de liberté offert par le travail de chercheur au CNRS, aspect qui joue un rôle essentiel pour rendre ce type de recherche possible.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire de l’informatique et/ou des sciences du numérique ?
N. B. : J'ai eu mes premières expériences avec les ordinateurs très tôt dans mon enfance (avec un Apple IIc, et donc la technologie du milieu des années 80), et même si pendant mes études de physique j'ai travaillé sur de nombreux problèmes de programmation scientifique, y compris du calcul haute performance pour ma thèse de doctorat ; ce n'est que lorsque j'ai commencé à travailler avec Vincent Danos que j'ai été fasciné par l'informatique théorique et ses profondes interconnexions avec les mathématiques. Je suis particulièrement intrigué par le rôle de la théorie appliquée des catégories dans la découverte et la compréhension de ces interconnexions, qui sert de plus en plus de base à la recherche collaborative interdisciplinaire dans les sciences théoriques.