Adrian Tanasa : « Apporter des réponses à la physique fondamentale grâce à la combinatoire »

Distinctions

Adrian Tanasa vient d’être nommé membre junior de l’Institut Universitaire de France au 1er octobre 2015. Ses recherches mêlent physique fondamentale et structures combinatoires pour apporter de nouvelles perspectives grâce à son point de vue interdisciplinaire.

Votre sujet de recherche, la physique combinatoire, commence tout juste à se faire connaître. De quoi s’agit-il ?

Mon objectif est d’utiliser des techniques de combinatoire pour apporter un nouvel éclairage aux problèmes de physique fondamentale. J’ai un profil particulièrement atypique, je suis physicien de formation, mais j’ai travaillé pendant cinq ans dans un laboratoire d’informatique. En simplifiant, on peut voir la combinatoire comme des mathématiques sur les objets discrets, comme ceux que manipulent les ordinateurs. La combinatoire joue un rôle important en informatique, par exemple pour résoudre des problèmes d’optimisation. Dans ce domaine, je m’intéresse plus particulièrement aux structures combinatoires que sont les graphes, les mots, les cartes… J’utilise ces techniques de combinatoire pour aborder des problèmes de physique fondamentale. Pour cela, je me concentre sur deux sujets : la théorie quantique des champs, qui décrit, entre autres, les particules élémentaires en physique, et la gravité quantique, un domaine de physique théorique qui tente de donner une formulation quantique de la gravitation.

Votre sujet est donc pleinement interdisciplinaire. Est-ce facile d’échanger avec des confrères d’autres disciplines ?

Ce n’est pas toujours simple. Mais le tout se fait dans une grande ouverture d’esprit pour réaliser des avancées communes. C’est vrai qu’à la base, ce ne sont pas les mêmes langages, les mêmes visions, les mêmes buts : le combinatoriste s’intéresse surtout à compter les objets quand les physiciens cherchent “juste” une solution ; les informaticiens s’attachent plus à la méthode quand les physiciens se concentrent sur les résultats, et pour eux peu importe la méthode (combinatoire ou autre) qui les y a amenés. Le domaine de la physique combinatoire reste nouveau, il a pris une nouvelle dimension en 2014, quand j’ai créé, avec Gérard Duchamp, Alan Sokal et Vincent Rivasseau un journal international dédié à ces interactions entre la combinatoire et la physique : "Annales de l’Institut Henri Poincaré D, Combinatorics, Physics and their Interactions". Mettre cela en place nous a pris des années d’efforts, mais aujourd’hui le journal fonctionne très bien et commence à devenir une référence. Et les premières réussites dans notre domaine sont déjà là : en utilisant des techniques de combinatoire énumérative (dédiées au comptage des différents objets) pour mieux comprendre certains modèles de gravité quantique, j’ai pu obtenir avec un collègue informaticien un résultat qui décrit la double limite d’échelle d’un certain modèle de gravité quantique, ce qui a beaucoup intéressé les physiciens à qui nous l’avons présenté. De même, en appliquant des algèbres de Hopf qui relèvent de la combinatoire algébrique (techniques algébriques pour décrire des objets discrétisés), nous avons pu écrire d’une manière nouvelle, récursive, des équations de théories quantiques des champs, ce qui pourrait fournir de nouvelles solutions qui n’étaient pas connues des physiciens. Notre but est vraiment d’apporter de nouvelles perspectives, de produire des résultats qui ne seraient pas accessibles par les techniques habituelles des physiciens.

Et pour la suite ?

Un nouveau chapitre commence, puisque je viens d’être recruté comme professeur à Bordeaux, au sein du Labri. Je vais y poursuivre mes travaux, et y implémenter ce nouveau domaine de recherche. Un chercheur post-doctorant va me rejoindre, nous allons recruter des doctorants, bref il y a tout un groupe de recherche à monter. En parallèle, je vais continuer sur mon projet ANR JCJC « Physique combinatoire » qui a démarré en 2014. Notre but est d’étendre certains modèles de gravité quantique bidimensionnels à trois voire quatre dimensions de l’espace-temps. En plus, je vais bien évidemment dédier une partie de mon temps mon activité éditoriale, en tant que rédacteur en chef du journal que j’ai co-fondé.

Contact

Adrian Tanasa
Professeur à l'Université de Bordeaux, membre du LaBRI