Antoine Chaillet : « Contrôler les oscillations cérébrales pour réduire les symptômes de la maladie de Parkinson »

Distinctions Automatique

Antoine Chaillet est membre junior de l’Institut Universitaire de France depuis octobre 2016. Cet automaticien s’est spécialisé dans le pilotage d’oscillations cérébrales en traitant le cerveau comme un système dynamique. En collaboration avec des neurochirurgiens et des chercheurs en neuroscience, son travail concerne plus spécifiquement les moyens de lutter contre les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson, au travers de la stimulation cérébrale en boucle fermée.

Comment l’automatique s’est-elle vue appliquer à la maladie de Parkinson ?

Antoine Chaillet : L’automatique recouvre l’ensemble des méthodologies qui permettent d’imposer un comportement donné à un système, en limitant l’intervention humaine. Pour cela, nous exploitons des mesures en temps-réel qui proviennent de capteurs, et nous agissons sur le système par l’intermédiaire d’actionneurs (le volant sur un véhicule, les moteurs sur un robot…). L’automaticien cherche donc la meilleure façon d’agir sur les actionneurs en fonction des mesures des capteurs et du comportement désiré. Cela fait longtemps que l’automatique s’intéresse à des systèmes oscillatoires, notamment pour proposer des techniques de commande qui permettent d’imposer un comportement cyclique donné. Le lien était donc assez naturel d’un point de vue thématique entre l’automatique et l’étude des oscillations cérébrales, ce qui m’a amené, avec mes collègues du L2S Elena Panteley et William Pasillas-Lépine, à travailler sur le sujet. 

Mon projet vise à une meilleure compréhension des oscillations cérébrales. Il est connu depuis longtemps que les fréquences d’oscillations de l’activité cérébrale sont différentes si l’on est éveillé ou en phases de sommeil, mais les oscillations cérébrales jouent également un rôle crucial dans l’apprentissage, le langage, ou l’exécution d’un mouvement. D’une manière générale, les oscillations cérébrales peuvent être vues comme un « chef d’orchestre » qui coordonne les diverses structures cérébrales. Dans certaines maladies, comme l’épilepsie et la maladie de Parkinson, la dynamique des oscillations cérébrales est altérée. En particulier, les oscillations bêta (entre 13 et 30 Hertz), qui n’apparaissent que de manière transitoire chez une personne saine, sont plus prononcées et plus pérennes chez les patients parkinsoniens.

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Quels sont les capteurs et les actionneurs à votre disposition ?

A. C. : Au niveau technologique, les capteurs et les actionneurs dans ce domaine ont fait des progrès prodigieux ces dernières années. Les capteurs (électrodes de mesure) permettent maintenant une bonne précision temporelle et spatiale de l’activité cérébrale. Mais surtout, les moyens d’agir sur le système sont de plus en plus variés. La façon traditionnelle d’influer sur une structure cérébrale est par des signaux électriques, qui sont notamment à la base de la stimulation cérébrale profonde, un traitement symptomatique performant de la maladie de Parkinson. Depuis peu, les neuroscientifiques utilisent, à titre expérimental, l’optogénétique qui permet de rendre photosensibles des neurones ciblés. Il faut comprendre qu’un neurone fonctionne en ouvrant des canaux ioniques permettant un échange d’ions avec le milieu extracellulaire. En rendant ces canaux photosensibles, il est possible de piloter artificiellement l’activité de ces neurones par des impulsions lumineuses délivrées, par exemple, par un laser. Cette avancée est importante car elle permet de mieux cibler les neurones, sur des zones plus précises, sans les problèmes de diffusion que peut avoir la stimulation électrique. D’un point de vue d’automaticien, l’optogénétique constitue également un apport essentiel car elle permet de dissocier la mesure (électrique) de l’actionnement (optique), alors que l’activité électrique des neurones a tendance à être « noyée » lorsque la stimulation est elle-même électrique.

Et sur quels moyens avez-vous prévu d’agir pour lutter contre les effets de Parkinson ?

A. C. : Grâce aux outils de l’automatique, nous pouvons influer sur trois paramètres principaux des oscillations cérébrales : leur amplitude (intensité), leur fréquence (rythme) et leur phase (positionnement temporel). 

Une des hypothèses possibles de la génération de ces oscillations pathologiques est ce l’on appelle l’effet de déstabilisation. C’est un concept bien connu en automatique : si vous interconnectez deux systèmes stables de manière trop intense (c’est-à-dire avec des gains importants) et si cette influence mutuelle n’est pas instantanée (retards), alors il y a un risque d’instabilité qui se traduit dans un premier temps par des comportements oscillatoires. Chez les personnes parkinsoniennes, l’interconnexion entre des populations de neurones excitateurs et inhibiteurs pourrait être trop forte ce qui, combiné aux retards de transmission, serait la cause de ces oscillations pathologiques. Dans cette hypothèse, le signal de stimulation cherche à atténuer les oscillations, et donc à jouer sur leur amplitude. 

Une autre hypothèse serait qu’une population de neurones pourrait agir comme un filtre fréquentiel. En imaginant qu’un groupe de neurones émette un signal très riche en fréquences, cette population pourrait filtrer le signal reçu et en faire ressortir une fréquence dominante, comme quand on n’entend plus que les sons graves lorsque l’on sort d’une pièce. Le diagramme de Bode, outil standard des automaticiens, permet de représenter le comportement fréquentiel d’un système. La possibilité de tracer un tel profil fréquentiel pour des populations neuronales, et ce malgré leur nature non-linéaire et spatio-temporelle, permet donc de mieux comprendre les mécanismes cérébraux impliqués et de développer des stratégies de stimulation visant à rétablir un profil fréquentiel. 

Nous réalisons ces études en partenariat avec des neurochirurgiens (Stéphane Palfi de l’hôpital Henri Mondor de Créteil et de l’équipe 14 INSERM-IMRB, et Suhan Senova de ce même hôpital ainsi que du Western Hospital de Toronto), mais aussi avec des experts en traitement de signaux électrophysiologiques (Christophe Pouzat du MAP5), en imagerie du vivant (Frédéric Pain de l’IMNC), en expérimentation animale (Philippe Hantraye et Romina Aron-Badin du CEA MIRCen) et en neurosciences computationnelles (Alain Destexhe de l’UNIC). Cette collaboration interdisciplinaire, matérialisée par des co-encadrements de thèse ou des publications en commun, est des plus enrichissantes. Les résultats que nous avons obtenus jusqu’ici sont surtout de nature théorique, c’est-à-dire développés sur des équations différentielles modélisant l’activité des structures cérébrales. Leur validation expérimentale constitue maintenant une priorité pour le projet ANR SynchNeuro et mes travaux au sein de l’IUF.

Contact

Antoine Chaillet
Professeur à CentraleSupélec, membre du L2S