Anne Vilain : « Comprendre le développement de la parole pour accompagner les situations pathologiques »

Distinctions Signal

Anne Vilain vient d’être nommée à l’Institut Universitaire de France en tant que membre junior au 1er octobre 2014. Ses travaux se concentrent sur les processus qui permettent la mise en place du langage chez l’enfant, pour aider à détecter et accompagner les patients victimes de troubles.

Votre travail concerne le développement de la parole chez l’enfant. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Anne Vilain : Nous essayons de comprendre en quoi ce développement de la parole est conditionné par l’interaction entre les capacités de production et de perception de parole de l’enfant, et les informations qui lui viennent de son environnement linguistique. Les enfants naissent tous (sauf handicaps) avec les mêmes éléments de départ : les capacités de production et de perception de la parole sont universelles. Mais ils vont être confrontés à une langue particulière, avec une structure spécifique et une phonologie, c’est-à-dire une structuration sonore d’une langue, propre. Mes recherches essaient de déterminer à quel moment, par quel biais et par quelle chronologie les enfants arrivent à intégrer la phonologie de leur langue. Pour tester l’apprentissage de ces phonologies, je participe à plusieurs projets internationaux, par exemple avec des enfants allemands ou de Nouvelle-Calédonie qui apprennent à la fois le français et le drehu, la langue locale, avec des systèmes sonores différents.

 

Quel est le lien avec les sciences de l’information ?

A. V. : Je viens pour ma part des sciences du langage, donc des Sciences Humaines, mais j’ai la chance d’être dans un laboratoire très pluridisciplinaire, le Gipsa-lab, et plus particulièrement dans le Département Parole et Cognition de ce laboratoire. Cela me permet de travailler au quotidien avec des spécialistes en acoustique, en traitement du signal, en robotique, en sciences cognitives, en neurophysiologie, etc. La rencontre de nos compétences multiples nous permet de décrire, d’analyser, de modéliser cet objet physique et cognitif qu’est la parole. Par exemple, je collabore avec des collègues de traitement du signal pour l’analyse des productions vocales des enfants : il est évidemment difficile d’utiliser des outils invasifs tels qu’un articulographe, pour observer les mouvements du conduit vocal des très jeunes enfants. Il faut donc passer par l’analyse acoustique de leurs productions vocales pour tenter d’en inférer les gestes articulatoires correspondants, et donc les contrôles moteurs impliqués. Par exemple, pour produire la voyelle « u » (comme dans « tu ») l’enfant francophone doit apprendre à placer sa langue en haut et à l’avant de son conduit vocal, et à projeter ses lèvres vers l’avant. Si l’un de ces gestes articulatoires est mal maîtrisé, cela va provoquer des modifications dans la nature acoustique de sa voyelle. Nous utilisons ces altérations acoustiques pour comprendre à quel stade en est l’enfant dans son développement. Autre exemple, je travaille également sur les gestes manuels, et leur lien avec la parole et le langage, chez les enfants et les adultes. Ma collaboration avec des collègues de l’INS2I, me permet d’analyser, de quantifier et de caractériser ces mouvements, puis éventuellement de les simuler à l’aide d’un robot humanoïde, ou d’étudier les circuits neuraux associés à l’utilisation de cette modalité gestuelle du langage.

 

Quelles sont les applications de cette étude du développement de la parole ?

A. V. : Mon but fondamental est de comprendre comment la parole se développe, pour justement comprendre pourquoi certaines fois elle ne se met pas en place ou de façon pathologique. Pour étudier le rôle des différents facteurs (phonologie, perception et production), nous étudions des situations typiques, mais aussi des situations où l’un des facteurs est altéré. Pour les situations non altérées, je travaille en lien avec le Babylab de Grenoble pour un travail sur le développement très précoce (à partir de 3 mois, ils recherchent d’ailleurs des volontaires !), mais aussi sur des étapes plus tardives du développement (jusqu’à 15 ans). 
Une partie de mon projet concerne la production de parole chez les enfants sourds porteurs d’implants cochléaires. Ces implants remplacent une partie du système auditif qui s’occupe du traitement et de l’analyse du signal spectral et temporel. L’information que ces enfants reçoivent est très différente du signal fourni par un système auditif fonctionnel, comme si l’information auditive était extrêmement « pixellisée ». Nous travaillons donc, en lien avec le CHU de Grenoble, pour définir les spécificités de production et de perception de parole chez ces enfants. Notre but est de pouvoir faire un retour aux orthophonistes et producteurs d’implants, afin d’améliorer les techniques de rééducation, et aussi éventuellement le produit. De manière générale, je travaille de plus en plus avec des orthophonistes qui ont besoin d’informations sur le développement de la parole, pour mieux diagnostiquer les différents troubles associés.

Contact

Anne Vilain
Maître de conférences à l'Université Grenoble Alpes, membre du GIPSA-lab