L’interaction humain-machine récompensée par la médaille d’argent de Michel Beaudouin-Lafon
Michel Beaudouin-Lafon, professeur d’informatique à l’Université Paris-Saclay, vise à comprendre nos usages des ordinateurs afin d’imaginer de nouvelles interactions plus simples et plus puissantes. Son approche multidisciplinaire et visionnaire basée sur les mathématiques, l’informatique et les sciences humaines et sociales a permis de mettre en place de véritables théories génératives de l’interaction humain-machine. Ses contributions sont récompensées par la médaille d’argent du CNRS.
Les ordinateurs sont omniprésents dans notre quotidien, mais leurs usages sont-ils pour autant optimaux ? Michel Beaudouin-Lafon, professeur d’informatique à l’Université Paris-Saclay et membre du Laboratoire Interdisciplinaire des Sciences du Numérique (LISN - CNRS/Université Paris-Saclay), est persuadé que non ! Il s’inspire donc de nos frustrations (et des siennes) afin d’enrichir nos usages et de nous rendre plus créatifs à l’aide de machines.
Après des études d’ingénieur, ce passionné d’informatique opte pour la recherche sans savoir ce qui l’attend derrière la porte du laboratoire. « J’ai eu la chance de travailler sur une des premières machines graphiques pendant les années 1980, c’est ainsi que je suis tombé dans l’interaction humain-machine (IHM) », s’amuse-t-il. Au cours de sa thèse, il conçoit un simulateur graphique pour l’édition de réseaux de Pétri qui sert directement aux chercheurs de son unité. Il prend rapidement goût à la pluridisciplinarité offerte par sa discipline et articule depuis ses recherches autour de trois aspects principaux. Premièrement : comprendre l’interaction humain-machine grâce à des approches de sciences humaines et sociales. Deuxièmement : inventer de nouvelles techniques d’interaction et les tester. Troisièmement : généraliser et transférer des outils pour faciliter la création de nouvelles interfaces vers les systèmes que nous utilisons tous les jours.
Si les dispositifs numériques ont beaucoup évolué depuis ses débuts, il constate cependant que les modes d’interactions des ordinateurs sont restés figés dans le temps. « Le mode de fonctionnement avec le bureau, les documents, la corbeille, etc. a été conçu pour des secrétaires de direction à la fin des années 1970. Il n’est plus adapté à la diversité de nos usages d’aujourd’hui. Je suis convaincu qu’apporter des petits changements de conception peut avoir de grands effets sans changer nos technologies actuelles », défend Michel Beaudouin-Lafon. En ce sens, le chercheur a notamment développé le modèle de l’interaction instrumentale qui a permis de créer des techniques d’interaction innovantes telles que les guides magnétiques dynamiques qui offrent des gains de performance jusqu’à 40 % comparé aux outils classiques d’édition graphique.
À la fin des années 2000 - alors que la tendance est à la miniaturisation avec les smartphones - Michel Beaudouin-Lafon se focalise sur des systèmes de plus en plus grands. « Je voulais explorer la manière dont l’interaction peut sortir de la lucarne individuelle qu’on a sur nos bureaux pour intégrer un environnement interactif plus en phase avec le travail collaboratif et collectif », décrit le chercheur. Dans le cadre des Equipex Digiscope puis Continuum - dont il est responsable - et de son projet ERC ONE obtenu en 2015, il s’intéresse à l’usage collaboratif de murs d’écran au sein de salles interactives. Pointer, toucher, se déplacer à travers ces environnements soulèvent de nombreuses questions de recherche auxquelles s’ajoute le défi d’interconnecter plusieurs salles pour collaborer à distance.
En parallèle de ses recherches, Michel Beaudouin-Lafon est un fervent promoteur de sa discipline. Il a créé et présidé l’Association francophone d’interaction homme-machine (AFIHM) en 1996. Il est responsable adjoint de l'ACM Technology Policy Council qui vise à informer les décideurs politiques. Avec sa casquette d’enseignant, il a également contribué à l’élaboration de deux masters internationaux sur l’IHM à l’Université Paris-Saclay.
« Quand j’ai commencé à faire de l’IHM, nos méthodes n’étaient pas prises au sérieux. Au-delà de mon travail personnel, je suis donc fier que cette médaille d’argent reconnaisse cette communauté et l’importance de nos problématiques, s’enthousiasme le chercheur. Dans un monde où la place des technologies ne cesse d’augmenter, cette médaille me donne aussi l’occasion de revendiquer l’importance de développer des technologies plus humaines de sorte que l’on ne devienne pas un rouage supplémentaire dans les systèmes numériques de demain. »