Jenny Sorce et la cosmologie
Jenny Sorce a rejoint en 2022 le Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille (CRIStAL - CNRS/Centrale Lille/Université de Lille) en tant que chargée de recherche CNRS.
Quel est votre domaine de recherche ?
Jenny Sorce : La cosmologie. Un petit mot pour définir l’étude de l’Univers infini. Selon le modèle cosmologique standard, 95 % de l’Univers serait constitué de matière noire et d’énergie sombre. Dans ce contexte, pour comprendre leur nature, de grands sondages cosmologiques sont réalisés afin d'atteindre une précision de quelques pourcents sur la mesure des paramètres cosmologiques du modèle. Pour être pleinement exploitée, cette grande quantité de données doit être analysée à la lumière de simulations cosmologiques représentant des morceaux d’Univers simulés. Des analyses préliminaires ont fait ressortir des tensions entre le modèle cosmologique standard et les observations. En atteignant, via l’analyse des observations, une précision de 1 % sur la mesure des paramètres cosmologiques, des erreurs systématiques dues aux spécificités de notre environnement cosmique, des sondages et des outils méthodologiques ressortent-elles ?
Les analyses de ce gigantesque problème inverse doivent, notamment, être alimentées par un nouveau type de simulations cosmologiques conçues pour reproduire notre environnement cosmique. Contrairement aux simulations typiquement utilisées dans la communauté scientifique, leurs conditions initiales sont contraintes par un ensemble de données observationnelles. Elles reproduisent ainsi la toile cosmique locale (tout de même dix mille milliards de milliards de kilomètres) aujourd'hui. Dans ces simulations, les filaments et amas remplis de galaxies, ainsi que les vides qui en sont quasiment dépourvus, sont distribués comme dans l’Univers observable localement. Ma recherche consiste à produire de telles simulations et à les observer, comme nous le faisons avec l’Univers réel, pour ensuite comprendre les biais et les corriger. Elles fournissent un outil méthodologique robuste pour minimiser les erreurs systématiques.
Qu’avez-vous fait avant d’entrer au CNRS ? Pourquoi avoir choisi le CNRS ?
J.S. : Un parcours en somme toute assez classique, quoiqu’assez exploratoire sur le globe et thématiquement, par conséquent long. Après une thèse en cosmologie observationnelle entre les États-Unis, l’Allemagne et la France, j’ai effectué un premier séjour postdoctoral en Allemagne pour me tourner vers la cosmologie numérique. Puis, j’ai séjourné à Strasbourg où j’ai commencé à mélanger les aspects observationnel et numérique plus en profondeur, tout en travaillant également sur des bases de données astronomiques et leurs interfaces avec les utilisateurs. J’ai ensuite rejoint Lyon pour intégrer, notamment, la mission de l’Agence spatiale européenne nommée Euclid. Je suis ensuite allée à l'Institut d'astrophysique spatiale (IAS - CNRS/Université Paris-Saclay) pour renforcer, entre autres, l’aspect comparaisons ‘’Univers simulé – Univers observé’’ de mon travail qui devenait indispensable. Tous ces séjours ont été l’opportunité de forger de nombreuses collaborations qui courent encore.
En demandant comment devenir astrophysicienne à l’âge de neuf ans, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont fait des recherches (sans l’internet d’aujourd’hui !) pour me répondre. Ils ont alors trouvé le CNRS et les différentes étapes pour pouvoir y prétendre. Le CNRS est alors devenu une évidence tout en ne l’étant pas quand on est issu d’une famille sans baccalauréat général. Le sommet s’est révélé être très haut, mais la vue est splendide.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire de l’informatique et/ou des sciences du numérique ?
J.S. : Les sciences du numérique et l’informatique n’étaient pas du tout une évidence. Du haut de mes neuf ans, je rêvais d’observer le ciel avec les plus grands télescopes, sans savoir qu’ils étaient pilotés par des ordinateurs et qu’il fallait analyser les observations avec des ordinateurs voire des supercalculateurs. D’ailleurs, qu’était-ce qu’un ordinateur ? Je ne le savais même pas à l’époque, parce qu'il n’y en avait pas à la maison. Puis, durant mes études, je me suis découvert une passion pour les calculs et j’ai décidé que je voulais faire de l’astrophysique théorique pure. Finalement, j’ai fait une thèse observationnelle à la lumière des opportunités qui se sont présentées et des conseils que j’ai reçus. Saisissant une nouvelle opportunité, je me suis laissé embarquer par le numérique à travers les simulations cosmologiques et puis, de fil en aiguille, j’ai appris que la cosmologie étant une discipline sans vérité terrain (correspond à un résultat étalon ou un résultat de référence obtenu par des mesures réalisées directement sur le terrain), elle ne peut se pratiquer sans les sciences du numérique !