Edwige Cyffers, vers des IA plus éthiques
Doctorante au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille (CRIStAL – CNRS/Centrale Lille Institut/Université de Lille), Edwige Cyffers développe des systèmes d’intelligence artificielle plus respectueux des données personnelles. Ses travaux, son implication dans diverses actions de médiation et son engagement contre les discriminations lui ont valu d’obtenir le Prix Jeunes talents France 2023 L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science.
« Langage peaufiné siècle après siècle, les mathématiques m’apportent une grande satisfaction intellectuelle et confèrent une force de raisonnement particulièrement utile pour penser et décrire les phénomènes les plus variés. J’ai ensuite découvert en classes préparatoires l’informatique et l’efficacité extraordinaire qu’elle offre en empilant des boîtes noires de plus en plus puissantes. » Edwige Cyffers est à présent en deuxième année de doctorat au CRIStAL sous la direction d’Aurélien Bellet, directeur de recherche Inria.
Dans sa thèse intitulée « Sécuriser l’utilisation des données personnelles en intelligence artificielle », Edwige Cyffers s’intéresse aux intelligences artificielles, en particulier celles issues de l’apprentissage automatique, afin qu’elles concilient efficacité et respect de valeurs telles que la vie privée ou l’équité face aux discriminations. La doctorante est en effet très impliquée dans la promotion de la diversité dans le monde de la recherche.
« En ayant accès à un modèle d’apprentissage automatique, voire juste à ses prédictions, on peut parfois reconstruire une partie des données employées pour son entraînement, souligne Edwige Cyffers. Or elles peuvent être privées ou être couvertes par le secret médical. Je modifie les algorithmes d’apprentissage afin d’éviter ce problème. » Ses travaux restent assez généraux, avec ainsi des théorèmes et des garanties mathématiques applicables à un large panel de domaines.
Edwige Cyffers travaille également sur la décentralisation des IA, quand toutes les données ne sont pas réunies sur un immense serveur unique. La capacité à pouvoir piocher les informations là où elles sont déjà stockées permettrait des économies d’énergie, mais présente aussi le risque d’ouvrir des failles de sécurité qu’il faut anticiper.
« J’ai choisi de me spécialiser dans l’apprentissage automatique parce que je voyais que de nombreuses questions éthiques n’y étaient pas forcément bien prises en compte, précise Edwige Cyffers. Mon sujet de thèse se focalise sur la protection des données. C’est un enjeu important, mais ce n’est pas le seul qui m’intéresse. »
Ces efforts lui ont valu d’obtenir le Prix Jeunes Talents France 2023 L’Oréal-UNESCO pour les Femmes et la Science, qui récompense chaque année de jeunes chercheuses afin d’encourager davantage de femmes à se tourner vers la recherche. Le prix est agrémenté d’une dotation financière et d’une formation. « Cela m’a permis de rencontrer les autres lauréates, ça aide à se projeter », se réjouit celle qui compte bien poursuivre une carrière dans la recherche publique après son doctorat.
« Je suis cependant inquiète de ne pas avoir vu beaucoup d’améliorations sur la place des femmes depuis que j’ai commencé mes études, notamment avec la réforme du bac qui a entraîné une chute du nombre de lycéennes choisissant les mathématiques comme spécialité, regrette Edwige Cyffers. On retrouve encore des préjugés et de la présomption d’incompétence et un manque de ressources et d’encadrement en cas de harcèlement ou d’agression, alors que c’est le premier levier d’action si l’on souhaite garder davantage de femmes dans le milieu de la recherche. »
Edwige Cyffers ne baisse pas pour autant les bras. Au-delà du travail au laboratoire, elle mène différentes initiatives de médiation scientifique. Elle a ainsi organisé, dès 2017, le Rendez-vous des jeunes mathématiciennes, avec des rencontres entre des femmes travaillant dans des métiers dépendant des mathématiques et des lycéennes, afin de pousser ces derniers vers des carrières scientifiques. L’évènement comprenait aussi des formations contre les discriminations. Edwige Cyffers travaille également à ce que les Olympiades européennes de mathématiques pour filles (EGMO, European girls’ mathematical olympiad) se tiennent pour la première fois en France.