Des prix de l'IEEE pour trois scientifiques remarquables en traitement du signal
Lors de sa dernière conférence à Séoul, l’Institute of electrical and electronics engineers (IEEE) a récompensé des scientifiques pour leurs contributions majeures dans le domaine du traitement du signal. Parmi eux, trois scientifiques issus de laboratoires du CNRS.
En avril dernier, à Séoul, se tenait la conférence internationale en traitement du signal et de la parole (ICASSP), organisée par l'IEEE Signal Processing Society, événement majeur pour la communauté scientifique de cette thématique. À cette occasion, l'IEEE a remis des prix pour rendre hommage à des scientifiques remarquables qui, au fil des années, ont apporté des contributions exceptionnelles à la théorie ou à la pratique en traitement du signal et des images, en témoignent leurs publications, leurs brevets ou leur impact reconnu dans le domaine. Retour sur les lauréats et leurs recherches.
Patrick Flandrin, pilier de la formation en traitement du signal
Que l’on pense à la parole, à la dynamique des fluides ou au rythme cardiaque, beaucoup des signaux issus du monde physique sont liés à des ondes, des vibrations ou des oscillations. En ce sens, il est naturel de les décrire en termes de fréquences, ce que fait habituellement l’analyse de Fourier.
Cette description trouve cependant ses limites lorsque les oscillations varient dans le temps (à l’instar du chant d’un oiseau) ou se manifestent de manière transitoire, comme une note dans un morceau de musique. Il s’agit alors en quelque sorte d’écrire la partition d’un signal, en lui donnant un sens mathématique précis et en lui associant des algorithmes permettant de la calculer et de la manipuler. C’est l’objet de l’analyse temps-fréquence. Le problème posé n’admettant pas de solution unique, il a donné lieu à une activité intense depuis les années 1980, en lien aussi avec le développement concomitant des méthodes d’ondelettes.
Patrick Flandrin, directeur de recherche CNRS émérite au Laboratoire de physique (LPENSL – CNRS/ENS Lyon), y a fortement contribué, en rédigeant plusieurs livres de référence sur le sujet et en organisant nombre d’écoles d’été et de cours thématiques qui ont permis de disséminer largement des méthodes devenues aujourd’hui standard.
C’est cet aspect de formation avancée, nourrie par les recherches de Patrick Flandrin, qui a été plus spécifiquement récompensé par le IEEE-SPS Carl-Friedrich Gauss Education Award. Cette reconnaissance est aussi celle du rôle qu’il a joué dans la mise en place de formations interdisciplinaires dans lesquelles le traitement du signal moderne tient une place centrale.
Christian Jutten et la séparation de sources de signaux concomitants
Christian Jutten, professeur émérite à l’Université Grenoble Alpes, membre du laboratoire Grenoble images parole signal automatique (GIPSA-lab – CNRS/ Université Grenoble Alpes), a été l’un des précurseurs de la séparation de sources, qui consiste à séparer différents signaux concomitants issus de capteurs physiques (sons, lumières, électriques, vision, ouïe, etc.). Cette séparation peut s’avérer ardue ; c’est pourquoi Christian Jutten et ses collaborateurs, Bernard Ans, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de psychologie et neurocognition (LPNC - CNRS/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc) et Jeanny Hérault, professeur émérite à Grenoble INP, membre du GIPSA-Lab proposent un premier algorithme pour résoudre ce problème dans les années 1980.
Pour séparer les sources, une première idée est d’utiliser plusieurs capteurs, au lieu d’un seul, qui recueillent des mélanges différents : on parle de diversité spatiale. Une seconde idée est de doter les sources à séparer de propriétés particulières, comme, par exemple, la polarisation d’une onde. Une autre hypothèse est de considérer que la puissance des sources suit une évolution temporelle différente ou que les fonctions d’autocorrélation des sources sont différentes : ces hypothèses conduisent à une autre famille d’algorithmes.
La séparation des sources s’applique alors à de nombreux domaines. Dans le domaine médical, elle permet de séparer l’électrocardiogramme du fœtus d’autres signaux électriques à partir d’électrodes posées sur le ventre de la mère. En acoustique, elle permet de séparer des signaux de parole ou des instruments mélangés dans un morceau de musique. En imagerie satellitaire, la séparation de sources permet d’identifier le spectre des constituants présents sur le sol, route ou végétation par exemple, tandis qu’en chimie, il s’agit de séparer les ions présents dans une solution.
Pour ses contributions, Christian Jutten est lauréat 2023 du Claude Shannon-Harry Nyquist Technical Achievement Award décerné par la IEEE Signal Processing Society.
« Jeanny Hérault, mon directeur de thèse et ami, professeur au GIPSA-lab et disparu en 2021, a joué un rôle essentiel dans les premiers développements sur la séparation de sources. Mes nombreux doctorants et collaborateurs, qui ont travaillé avec moi sur ce domaine, ont directement contribué à ma carrière et à l’attribution de ce prix ».
Stéphane Mallat, père de la théorie des ondelettes
Internet et l’image numérique ont fait émerger un problème de stockage et de transmission de l’information. Stéphane Mallat, professeur au Collège de France sur la chaire data sciences, membre du Département d’informatique de l’ENS (DI ENS – CNRS/ENS – PSL/Inria) a établi la théorie mathématique de l’analyse multirésolution qui permet de construire les bases d’ondelettes, en collaboration avec Yves Meyer, professeur émérite à l'ENS Paris-Saclay, membre du Centre Borelli. Il a développé un algorithme permettant de calculer efficacement la transformée en ondelettes de signaux et d'images.
Les ondelettes mesurent les variations d’une image à toutes les échelles de longueur. Elles permettent ainsi d’obtenir une représentation parcimonieuse, qui élimine la redondance des pixels de l’image. Il s’avère qu’elles représentent un bon modèle des réponses neuronales des régions du cerveau dédiées à la vision et à l’audition, mais aussi de l’organisation hiérarchique des interactions entre les objets d’étude en physique, depuis l’échelle quantique des particules élémentaires jusqu’aux échelles cosmologiques de l’univers.
Les travaux de Stéphane Mallat et ses collaborateurs ont mis en évidence une correspondance forte entre décomposition en ondelettes et structuration hiérarchique des réseaux de neurones (voir illustration ci-dessous). Ses résultats récents montrent que c’est le même principe de séparation d’échelles par ondelettes qui est au cœur de la théorie physique du groupe de renormalisation, permettant aux réseaux de neurones d’apprendre les propriétés de la physique à différentes échelles.
Stéphane Mallat, précédemment lauréat du Prix Milner 2023 de la Royal Society, reçoit le Prix Fourier 2024 de l’IEEE pour ses travaux sur la théorie et le traitement du signal en ondelettes ainsi que sur la modélisation des réseaux de neurones profonds.