eMob-Twin : la modélisation au service des mobilités électriques

Distinctions Automatique

À l’échelle d’une ville, le trafic routier comporte de nombreux véhicules électriques dont les batteries doivent être adéquatement chargées. Le projet eMob-Twin, soutenu par une bourse ERC Proof of Concept, et coordonné par Carlos Canudas-de-Wit du laboratoire Grenoble Image, Parole, Signal, Automatique (GIPSA-lab - CNRS/Université Grenoble Alpes), vise à adapter un modèle mathématique de la circulation dans l’agglomération grenobloise aux besoins des voitures électriques qui y circulent. Il s’agit également d’optimiser les réseaux électriques et de mieux intégrer les énergies renouvelables intermittentes.

La modélisation des flux routiers sert généralement à gérer les feux rouges ou à fluidifier le trafic automobile, mais ces systèmes peuvent être poussés pour répondre à des applications plus complexes. Carlos Canudas-de-Wit, directeur de recherche CNRS au GIPSA-lab, a ainsi dirigé le projet Scale-FreeBack de 2015 à 2022. Soutenu par une bourse du Conseil européen de la recherche (ERC) Advanced Grant, ce projet s’est plongé dans les modèles mathématiques de contrôle de systèmes à grande échelle, dans le cadre du routier à l’échelle de Grenoble et de son agglomération.

« Ces modèles ressemblent un peu aux modèles météo, décrit Carlos Canudas-de-Wit. Leurs paramètres physiques doivent être ajustés avec différentes informations : données publiques, résultats d’enquêtes de ménage-déplacement, des données géographiques comme la topologie du réseau routier, etc. Le modèle peut alors servir à prédire le comportement et l’évolution des véhicules électriques et de leur charge effective. »

Les modèles développés dans le cadre de l’ERC Scale-FreeBack agrègent ces informations en modules qui correspondent à autant de communes de l’agglomération de Grenoble. Il prend en compte le nombre d’habitants, puis la distribution de certains lieux. Les écoles primaires et maternelles suscitent des déplacements sur de courtes distances, tandis que l’université va traîner un trafic en provenant de toute l’agglomération. Les zones de travail telles que les usines, ainsi que les hôpitaux ou encore les lieux de loisir sont aussi inclus.

Ce modèle est à présent utilisé dans le cadre d’un nouveau projet, soutenu par l’ERC par une bourse Proof of concept (POC). « Dans eMob-Twin, nous voulons traduire ce modèle de mobilité des personnes en mobilité de véhicules, plus particulièrement de voitures électriques, poursuit Carlos Canudas-de-Wit. Nous ajouterons un niveau de complexité en prenant en compte la charge moyenne des batteries au sein de ces flux de véhicules électriques, ce qui nous permettra de modéliser les besoins énergétiques dans le temps et dans l’espace. »

Nous obtiendrons ainsi un digital twin, ou jumeau numérique, de la circulation des voitures électriques et de leur état de charge.

La gestion de ces besoins énergétiques intéresse trois couches différentes de la chaîne électrique, depuis les marchés de l’électricité jusqu’au véhicule lui-même. Au niveau du marché électrique, les ventes et les achats se font pour le jour même et le lendemain. En cas de surplus ou de déficit, des pénalités financières s’appliquent, ce qui pousse les acteurs à chercher le meilleur équilibrage possible entre l’offre et la demande. La transmission entre le réseau haute tension et ceux de moyenne et basse tension est également concernée, car les lignes électriques locales sont soumises à des contraintes physiques de puissance. Une mauvaise gestion de l’offre et de la demande entraîne là encore des surcoûts ou des problèmes de congestion électrique.

Enfin, le modèle peut faciliter l’intégration d’énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien. Ces derniers produisent en effet de l’électricité par intermittence, qu’il faut parvenir à stocker et à redistribuer de la manière la plus efficace possible. Des applications à long terme sont également prévues pour eMob-Twin, bien que le projet soit programmé sur dix-huit mois.

« On peut considérer, dans une vision simplifiée, les véhicules électriques comme des batteries sur roues, précise Carlos Canudas-de-Wit. Les stations de charges sont capables de récupérer l’énergie stockée dans les véhicules électriques en utilisant la technologie "vehicle to grid" (V2G), déjà présente dans la plupart des modèles récents. On peut donc envoyer une commande pour reprendre un peu d’énergie lorsqu’un véhicule est garé pour plusieurs heures, par exemple au niveau du lieu de travail, on en stocker davantage que nécessaire si des panneaux solaires produisent plus que prévu. Cela permettrait de compenser différents problèmes qui peuvent arriver sur le réseau électrique et d’optimiser le marché de l’énergie. »

Cette idée s’appuie notamment sur des projections selon lesquelles, en 2030, jusqu’à 75 % des voitures vendues neuves seront électriques. À l’échelle de Grenoble et de ses environs et en prenant en compte une capacité moyenne des batteries de 40 kilowatts, l’énergie maximale stockée sur le réseau routier correspondrait à la production horaire de dix centrales nucléaires. L’optimisation de cette énergie pourrait ainsi revêtir un intérêt considérable. Pour l’instant, seuls 2 % des véhicules en circulation sont électriques, mais eMob-Twin prépare déjà les outils qui seront nécessaires aux mobilités de demain.

Contact

Carlos Canudas-de-Wit
Directeur de recherche CNRS au GIPSA-lab