« En attendant l’ordinateur quantique » : ERC Starting Grant d’Eleni Diamanti

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L’ordinateur quantique, on en parle et on en attend beaucoup. Même si l’on suppose que ses capacités seront bien plus élevées que celles d’un ordinateur classique,nous ne pouvons pas profiter de son efficacité sur différents types de problème car le développement d’un ordinateur quantique de taille suffisamment grande est une tâche laborieuse. Eleni Diamanti, avec son ERC Starting Grant obtenu en 2018, s’emploie à démontrer qu’il est possible de profiter de l’ « avantage quantique » pour certaines tâches en utilisant des systèmes expérimentaux plus accessibles depuis plus d’un an.

Le quantique, on en entend beaucoup parler, mais au final de quoi s’agit-il ?

Eleni Diamanti : Tout ce qui nous entoure, ce sont des particules. La mécanique quantique permet d’expliquer ce qui se passe si on impose à la matière ou à la lumière des actions au niveau des particules. Le terme « quantique », au final, c’est d’abord une question d’échelle !

Après, ce qui est fascinant, c’est que les particules ont des propriétés particulières quand on arrive à les isoler à ce niveau. Par contre elles perdent ces propriétés quantiques dès qu’elles interagissent avec leur environnement, c’est pour ça qu’il faut un contrôle extrême qu’il est très difficile de mettre en place.

Nous sommes dans la deuxième révolution quantique car nous savons maintenant agir sur une particule unique.

Et l’ordinateur quantique ?

E. D. : Nous sommes dans une période d’évolution intense autour des technologies quantiques, on parle de deuxième révolution quantique. La première révolution quantique a eu lieu autour des années 50-60, elle nous a apporté les technologies laser, les transistors, le GPS… À cette période-là, on a compris comment fonctionnent les particules quantiques, et comment utiliser ces propriétés de la physique quantique pour nous aider à des phénomènes macroscopiques. On exploitait des phénomènes quantiques, mais dans des domaines classiques, déjà connus.

Nous sommes dans une deuxième révolution car nous savons maintenant agir sur une particule quantique unique. Au niveau quantique de chaque particule, nous pouvons la manipuler, la préparer et la faire interagir avec d’autres particules. C’est ce qui a donné les technologies quantiques qui se répartissent en quatre domaines principaux : la communication quantique, le calcul quantique, la simulation quantique et enfin la métrologie et sensing quantique.

Bille à part

Pour chacune de ces familles d’application, le fait d’exploiter les propriétés quantiques apporte des avantages théoriques. En utilisant des systèmes quantiques, il devient possible par exemple d'augmenter la sécurité des communications ou de réduire exponentiellement le temps de calcul d'un algorithme. Ma recherche jusqu’ici se situait beaucoup dans la première famille, sur la cryptographie quantique. Maintenant elle embrasse aussi le premier domaine tout en l’abordant dans un contexte de communication.

Mon but est de démontrer expérimentalement qu’il existe bien un avantage quantique sur certaines tâches de calcul que l’on peut accéder avec des systèmes disponibles à court terme.

Sur quoi se concentre votre ERC à présent ?

E. D. : À l’heure actuelle, il n’y a pas encore d’ordinateur quantique. On sait que les possibilités offertes par le quantique seront révolutionnaires, mais on sait également que nous aurons besoin de beaucoup de progrès et un temps encore inconnu afin de pouvoir construire des ordinateurs à une échelle suffisamment grande pour profiter de l’avantage quantique offert par des algorithmes quantiques.

Mon but est de démontrer, avec des technologies existantes ou dont on sait qu’elles vont être disponibles très prochainement, qu’il existe bien un avantage, une supériorité quantique, sur certaines tâches de calcul dont on pourra profiter rapidement. Pour cela, je suis en train de construire un système expérimental qui devra valider les critères très stricts qui permettent d’affirmer qu’il y a un avantage quantique pour une tâche théorique bien définie.

 

Concrètement, quelle forme cela prend-il ?

E. D. : Je propose une plateforme expérimentale basée sur des systèmes photoniques. J’utilise des photons (la lumière) qui portent l’information quantique. Évidemment pour cela il faut une lumière contrôlée, pas celle de votre bureau ! J’emploie celle d’un laser, qui est une ressource accessible, actuelle. J’atténue beaucoup le laser pour pouvoir travailler dans le régime de particules (photons) uniques et j’utilise également des équipements nécessaires pour manipuler et détecter ces photons.

En effet, pour faire de l’informatique quantique, il faut que l’information soit codée quelque part, que l’on encode nos 0 et nos 1. Pour le quantique, le 0 et le 1 sont des états de nos particules : j’exploite les propriétés de mes photons pour coder l’information quantique. Ainsi, il faut contrôler les photons un par un pour changer leur état en fonction de l’algorithme que l’on veut implémenter. Grâce à la physique quantique, on sait que pour les porteurs d’information quantique, il y a une superposition d’états. Les qubits (bits d’information quantique) sont représentés par une sphère avec les 0 et les 1 aux antipodes, pour montrer qu’ils peuvent avoir les différents états. Chaque photon porte un qubit, et on exploite des probabilités de l’état dans lequel ils vont être.

Avec mon ERC, nous commençons déjà à avoir des résultats. La plate-forme expérimentale prend forme, et nous avons démarré son exploitation. D’un point de vue théorique, nous avons travaillé sur un algorithme qui prouve qu’il y a bien théoriquement un avantage quantique quand on souhaite vérifier qu’une solution à un problème complexe (NP complet) est correcte, sans dévoiler l’ensemble des bits de la solution. Nous sommes en train de l’adapter pour l’expérimenter prochainement sur la plate-forme.

Contact

Eleni Diamanti
Directrice de recherche CNRS au LIP6