Entre le CNRS et l’université d’Arizona, un projet sur le traitement automatique des débats
Pour évaluer la force des arguments, les représentations en graphes permettent un traitement à la fois automatique et ouvert, qui donne un accès compréhensible à son raisonnement. Ces systèmes sont la spécialité de Srdjan Vesic, chargé de recherche CNRS au Centre de recherche en informatique de Lens (CRIL - CNRS/Université Artois) et co-responsable du projet franco-américain SURFING.
Si débattre en ligne est une des activités favorites des internautes, l’informatique peut faire bien plus que d’héberger ces discussions. Srdjan Vesic, chargé de recherche CNRS au CRIL, travaille en effet sur des systèmes d’argumentation qui modélisent différents types de raisonnements. Si son cadre de recherche reste assez général, Srdjan Vesic s’intéresse tout particulièrement à la démocratie numérique, afin par exemple de développer des outils pour des consultations citoyennes en ligne.
« De nombreux sites internet hébergent des débats, mais il leur manque un traitement informatique pour trier toute la masse d’arguments qu’on y trouve, explique Srdjan Vesic. Les graphes permettent, par un système de d’orientation, d’indiquer que tel argument vient en opposition à tel autre. Les arguments qui ne font pas l’objet de critiques sembleraient alors les plus forts. »
L’idée est d’optimiser des tâches, comme celles de distinguer les arguments les plus importants, ceux qui ne sont pas fondés, ceux qui sont vrais, mais peu pertinents, etc. Si la consultation s’opère en ligne et à grande échelle, Srdjan Vesic prend en compte les risques de manipulations, aussi bien de la part de militants que de trolls.
Srdjan Vesic traite de ces questions par le biais de différents programmes. Il dirige ainsi le projet ANR AGGREEY1 , sur les consultations citoyennes. Il s’agit notamment de trouver comment combiner des votes, au lieu de simplement les additionner, afin d’estimer au mieux la valeur d’un argument. Tout cela à partir de systèmes ouverts, qui permettent aux utilisateurs de comprendre comment les décisions ont été prises.
De nombreuses solutions actuellement disponibles se présentent en effet sous la forme de boîtes noires, qui fournissent des réponses sans les justifier. Les systèmes ouverts sont cependant plus vulnérables, et doivent donc être suffisamment robustes pour empêcher des abus. Deux thèses sont en cours dans le cadre de ce projet lancé début 2023.
Srdjan Vesic a également participé à l’International emerging action (IEA) RHAPSSODY2 , un projet exploratoire qui a initié des liens avec Mihai Surdeanu. Ce professeur de l’université d’Arizona apporte son expertise en Inférence du langage naturel (NLI), une discipline qui vise à définir automatiquement si une affirmation écrite est vraie, fausse ou indéterminée.
« Nous apportons nos compétences en mathématiques et en théorie des graphes, mais il nous manquait l’expertise en traitement du langage naturel, précise Srdjan Vesic. C’est en effet ainsi que la majorité des arguments sont présentés. L’université d’Arizona excelle dans l’apprentissage automatique appliqué aux langues naturelles, notamment pour la détection de fake news. Nous apprenons beaucoup en croisant nos approches respectives. »
Si RHAPSSODY est depuis arrivé à son terme, les travaux se poursuivent dans le cadre de SURFING3 . Ce joint PhD programme s’inscrit parmi les cinq projets retenus pour l’International research center (IRC) France – Arizona Institute for global grand challenges, inauguré en 2021 par l’université d’Arizona et le CNRS. Là encore, la question de la transparence et de l’explicabilité des résultats est essentielle.
Des psychologues sont également impliqués dans les travaux de Srdjan Vesic, afin d’aider à établir un raisonnement centré sur l’humain, avec des liens clairs et transparents entre arguments et contre-arguments. « Nous avons vérifié si notre formalisme fonctionnait, et avons ainsi constaté que les gens sont plus rationnels quand ils réfléchissent à partir de graphes, se réjouit Srdjan Vesic. C’est par exemple très utile lorsqu’ils croient à des arguments contradictoires : les gens s’en rendent plus facilement compte lorsqu’ils peuvent visualiser le conflit. »
- 3Using argument for fact-checking.