Images truquées et polynômes creux : les accessits du prix de thèse Gilles Kahn
La Société informatique de France remet chaque année le prix de thèse Gilles Kahn, accompagné de deux accessits. Tina Nikoukhah et Armelle Perret du Cray ont été primées pour avoir travaillé, respectivement, sur des anomalies permettant de repérer si une image a subi des traitements suspects, et sur l’optimisation des algorithmes permettant de manipuler les polynômes creux.
Une détection de photos manipulées
Tina Nikoukhah a été récompensée d’un accessit pour sa thèse « La vie secrète des images JPEG : détection de falsification via les traces de compression ». Au Centre Borelli (CNRS/ENS Paris-Saclay), elle a en effet développé des algorithmes qui repèrent les anomalies dans les artéfacts de compression. Ces infimes traces apparaissent dès qu’une photo est sauvegardée, par exemple après avoir réduit le poids du fichier. Si leur présence est attendue, leur agencement et leur accumulation peuvent révéler que l’image a été manipulée.
Les algorithmes de Tina Nikoukhah identifient efficacement ces traces souvent imperceptibles. L’un d’eux a même été intégré au plugin gratuit InVID-WeVerify de l’Agence France-Presse, utilisé par des journalistes et fact-checkeurs dans plus de quarante pays. Tina Nikoukhah a également créé un cours complet sur la détection des fausses images pour l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille), à destination de journalistes, d’enseignants, de bibliothécaires, d’éducateurs et de coordinateurs de projets associatifs et culturels. « En l’absence d’outil magique pour identifier les fausses images, il faut apprendre à utiliser les solutions existantes », appuie-t-elle.
Initiée très jeune par son père, Tina Nikoukhah s’est rapidement orientée vers les mathématiques et l’informatique. Une fois son diplôme d’ingénieure de l’ENSIMAG en poche, elle a embrayé sur sa thèse où elle a vécu une anecdote quasi prophétique. « Après la parution d’un article que j’ai écrit sur le blog binaire, hébergé par Le Monde, j’ai reçu une invitation du journal Interstices.info, se souvient Tina Nikoukhah. La personne responsable a machinalement cru que j’avais obtenu le prix Gilles Kahn, dont j’ignorais alors l’existence. Je m’étais dit en rigolant que j’y postulerai pour de vrai à la fin de ma thèse, et me voilà accessit ! »
Tina Nikoukhah est actuellement en postdoctorat, toujours au Centre Borelli, où elle continue de travailler en sécurité multimédia, sur la détection de fausses images et de vidéos, et plus récemment sur la détection des images générées par IA. Elle travaille également sur l’estimation de la qualité des images et de leur restauration en cas de détérioration.
Des résultats quasi optimaux pour la manipulation de polynômes creux
Armelle Perret du Cray a également été récompensée d’un accessit pour sa thèse « Algorithmes pour les polynômes creux : interpolation, arithmétique, test d’identité », menée au Laboratoire d’informatique de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM - CNRS/Université de Montpellier). Les polynômes creux comportent une large majorité de coefficients nuls. Ceci permet, en informatique, d’employer une représentation qui utilise moins de mémoire que la représentation standard, et offre un gain de temps de calcul lors d’un déploiement dans des algorithmes.
« Ce type de structure creuse peut se retrouver par exemple en robotique, pour modéliser le mouvement d’une série d’articulations, explique Armelle Perret du Cray. Chacune est corrélée à celles qui lui sont proches, mais pas à l’ensemble des articulations. C’est aussi le cas lors de communications par antennes relais qui n’utilisent pas l’ensemble du réseau, souvent très dense, mais juste une sous partie. » Si le stockage est plus efficace, la manipulation de polynômes creux n’est pas aussi optimisée que le sont les calculs pour la représentation standard.
Armelle Perret du Cray a donc amélioré les approches pour effectuer différentes opérations avec ces objets mathématiques : interpolation, divisibilité ou encore multiplication de polynômes creux. En s’appuyant sur une approche probabiliste, ses algorithmes donnent pour la première fois des résultats quasi optimaux.
Après son doctorat, Armelle Perret du Cray est restée encore une année au LIRMM en tant qu’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER). Elle est à présent en postdoctorat à l’Université de Waterloo, en Ontario, où elle poursuit ses investigations sur des polynômes creux à plusieurs variables, dont les coefficients non nuls sont répartis en suivant une structure particulière.
« Je me suis d’abord formée en mathématiques, précise Armelle Perret du Cray. Mais je n’étais pas complètement satisfaite, jusqu’à ce qu’un cours de licence m’incite à m’orienter vers l’informatique. Comme j’adore la résolution de problèmes, je souhaite continuer dans la recherche. Mon expérience d’ATER et mon poste au Canada m’ont aussi appris que j’aimais enseigner. »