L’haptique, une nouvelle dimension du virtuel : Claudio Pacchierotti, lauréat de la médaille de bronze du CNRS
Aujourd’hui, la réalité virtuelle ne se limite plus seulement à des stimulations visuelles et auditives. Grâce aux technologies haptiques, il est dorénavant possible de recréer des sensations de pression et de toucher, ou bien d'interagir physiquement avec un objet virtuel ou distant. Claudio Pacchierotti, chercheur à l'Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA - CNRS/Université de Rennes 1), est spécialiste de l’haptique tactile. Lauréat de la médaille de bronze du CNRS, il revient pour nous sur son parcours.
Toujours plus immersifs, les mondes virtuels ont connu ces dernières années de nombreuses évolutions et des améliorations considérables qui, jusque-là, concernaient surtout leurs rendus visuel et auditif. Mais l’émergence de l’haptique, cette science qui explore, exploite et retranscrit le sens du toucher, pourrait bien ajouter une nouvelle dimension à nos interactions virtuelles et distantes : chocs, force, textures, frottements… comme si l’on y était. Les possibilités d’applications sont vastes pour la réalité virtuelle, augmentée ou mixte mais aussi pour la robotique médicale, industrielle, d’assistance… ou encore pour l’exploration spatiale. L’illusion tactile sera-t-elle la prochaine révolution du cybermonde ? Pour Claudio Pacchierotti, chercheur à l’IRISA depuis 2016, cela ne fait aucun doute.
« Le sens du toucher est primordial dans nos interactions avec l'environnement et nos semblables. Sans lui, nous ne serions pas en mesure de manipuler un objet, ni même de marcher » souligne-t-il. « C’est ce décalage entre la pertinence et l'importance de l’haptique, et ce que la technologie est capable de faire aujourd'hui qui m'a justement attiré vers ce sujet. » Diplômé en ingénierie en 2014 de l’Université de Sienne , il s’intéresse aujourd’hui à l'utilisation de l'haptique pour l'interaction avec les systèmes robotiques et de réalité virtuelle. L’originalité de son travail repose sur l'exploitation de la perception haptique comme modalité d'interaction - à l’image d’un bouton de smartphone qui donne l’impression de s’enfoncer d’un clic quand on l'a touché - en utilisant des interfaces à retour haptique pour duper notre sens du toucher. Combinant robotique, théorie des systèmes et du contrôle, informatique, mécatronique et psychophysique, l’haptique est un domaine de recherche hautement interdisciplinaire. « De fait, j'ai eu l’opportunité, au fil de mes recherches, de l'appliquer dans de nombreux scénarios différents, comme la réalité virtuelle et la robotique d’assistance pour ne citer qu’eux ».
Dans le domaine de la réalité virtuelle et augmentée par exemple, la vue et le son restent primordiaux. « Pourtant, sans le sens du toucher, les expériences sont creuses, les réalités virtuelles sont fausses et les interfaces humain-machine sont peu intuitives, reconnaît-il. Pour ces raisons, nous avons travaillé, à l’IRISA, à la conception d'interfaces haptiques portables innovantes, c'est-à-dire des interfaces haptiques que les utilisateurs peuvent porter sur le corps comme des vêtements standards1 . » Ces dispositifs peuvent être utilisés pour ressentir l'interaction avec des objets virtuels ou distants pour des applications de jeux vidéo, de robotique médicale, de formation ou de réadaptation. Selon le chercheur, il n'existe pas d'interface haptique "parfaite", car chaque tâche et chaque situation requièrent un ensemble différent de fonctionnalités et de caractéristiques. « Pour cette raison, un véritable défi est de concevoir des dispositifs haptiques portables qui soient efficaces à utiliser, tout en étant confortables à porter ».
Claudio Pacchierotti s’intéresse aussi au développement de dispositifs haptiques dans les technologies d’assistance, pouvant notamment signifier, par un retour de vibration, la présence d’objets à proximité. Car pour aider les personnes en situation de handicap à se déplacer facilement et en toute sécurité, le retour haptique peut être d'une grande aide : « le sens du toucher est un sens sous-exploité qui peut être utilisé pour communiquer des informations riches » insiste-t-il. Dans le cadre du projet Inria DORNELL, lui et son équipe ont travaillé au développement d'une poignée haptique innovante, multisensorielle, multimodale et intelligente qui peut être facilement branchée sur une large gamme d'aides à la mobilité, comme les cannes blanches, les précannes, les déambulateurs et les fauteuils roulants électriques. Fabriquée spécifiquement pour s'adapter aux besoins d'une personne, elle fournit un large éventail de sensations tactiles - la pression, l'étirement de la peau, les vibrations - dans un format portable et prêt à l’emploi. « D'une manière générale, mes efforts de recherche ont toujours été guidés par l’idée que, dans le futur, les robots coopéreront de manière transparente avec les humains dans des espaces partagés ou éloignés, devenant ainsi une partie intégrante de notre vie quotidienne. »
Chercheur passionné, le lauréat 2022 de la médaille de bronze du CNRS accueille cette distinction avec humilité : « C’est un grand honneur qui me motive à poursuivre mes recherches ». Il tient à ajouter : « Bien que ce prix soit individuel, mes contributions sont le fruit d’un travail collectif. Je remercie mes collègues, les étudiants, les ingénieurs et les stagiaires fantastiques qui ont collaboré avec moi pendant toutes ces années afin de faire avancer la recherche sur l'haptique pour la robotique, et l'interaction virtuelle. » Il s’agit désormais de faire de l’haptique une réalité du quotidien.
- 1Quelques exemples de ses travaux, réalisés pour la plupart dans le cadre du projet européen H-Reality : https://hal.inria.fr/hal-03207560/document, https://hal.inria.fr/hal-02450301/document, https://hal.inria.fr/hal-01717248/document