Ninon Burgos : des outils informatiques pour détecter des maladies comme Alzheimer
Ninon Burgos est chargée de recherche CNRS à l’Institut du Cerveau et de Moelle épinière (ICM – CNRS/Sorbonne Université/INSERM/Inria) et a récemment obtenu le prix Cor Baayen Award 2019 pour ses recherches appliquées à l’imagerie médicale réalisées depuis le début de sa carrière de chercheuse.
Vous êtes une jeune chercheuse en informatique au CNRS : comment avez-vous commencé la recherche ?
Ninon Burgos : J’ai commencé la recherche à Londres, où j’ai réalisé ma thèse à l’University College London dans le domaine du traitement d’images médicales, à la suite d’un master en ingénierie biomédicale à Imperial College London. Mon équipe travaillait en étroite collaboration avec le Dementia Research Centre où allait débuter une étude de suivi sur 500 personnes ayant la particularité d’avoir toutes le même âge (70 ans) et d’être nées au Royaume-Uni. Cette étude était basée à la fois sur une batterie de tests cliniques, neurologiques, cognitifs et sensoriels, sur des examens sanguins et urinaires, et sur de l’imagerie cérébrale acquise sur un nouveau type de scanners combinant informations structurelles et fonctionnelles. Cette étude découlait d’un constat : on savait que les démences débutaient 20 ans avant le dépistage des premiers symptômes cliniques, et qu’à l'âge de 70 ans, près un tiers des personnes pouvaient être au stade préclinique de la maladie d'Alzheimer. Cette étude visait à identifier les facteurs qui influent sur la santé du cerveau et le vieillissement cognitif tout au long de la vie afin d'améliorer la conception de futurs essais cliniques.
Quel a été votre travail d’informaticienne au cours de vos recherches appliquées au monde médical ?
N. B. : Durant ma thèse, j’ai été amenée à développer une méthode permettant de mieux exploiter un tout nouveau scanner combinant deux types d’images : l’imagerie par résonance magnétique (IRM), apportant une information principalement structurelle, et la tomographie par émission de positrons (TEP) apportant une information fonctionnelle et moléculaire. Avec ce nouveau type de scanners, les images TEP cérébrales ne pouvaient pas être analysées quantitativement et de manière précise car il manquait une information nécessaire pour la reconstruction optimale des images. Ainsi, j’ai consacré ma thèse à la résolution de ce problème. L’acquisition d’une image TEP est habituellement combinée avec celle d’une image de tomodensitométrie (TDM), en général simplement appelée « scanner ». Cette dernière permet la reconstruction optimale de l’image TEP. Afin de limiter l’exposition aux rayons X, il n’est pas souhaitable de faire une acquisition TDM, en plus de l’acquisition TEP/IRM, simplement pour améliorer l’image TEP. L’idée a donc été de générer l’image TDM à partir des images IRM disponibles. Cette méthode de synthèse d’images est à l’heure actuelle utilisée au Dementia Research Centre. Mes recherches étaient très concrètes car elles ouvraient des portes pour la résolution d’autres problèmes de science.
Je me suis beaucoup intéressée au développement méthodologique d’outils informatiques et aux applications possibles, notamment vers le domaine de la santé. À la suite de ma thèse, j’ai eu l’opportunité de réaliser un premier post-doctorat sur la radiothérapie appliquée au cancer de la prostate. L’objectif était de permettre la planification du traitement à partir d’images IRM et j’ai retrouvé des problématiques similaires à celles rencontrées avec les scanners TEP/IRM. Enfin, j’ai intégré l’équipe ARAMIS de l’ICM pour mon second post-doctorat où je suis désormais chargée de recherche CNRS depuis 2018 et poursuis mes travaux sur l’imagerie médicale.
Quel est votre projet actuel de recherche au sein de l’équipe ARAMIS de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière ?
N. B. : Tout en conservant l’approche que j’ai eu en thèse, c’est-à-dire rester en lien étroit avec des problématiques concrètes, l’idée est de pouvoir seconder les cliniciens dans l’aide au diagnostic à partir d’images de cerveau. Nous souhaitons permettre une analyse au niveau de l’individu, et donc personnalisée. Je travaille sur la création de cartes d’anomalies de la zone du cerveau. Lorsqu’un clinicien observe une image de patient, il sait à quoi une image « saine » ressemble (il la visualise mentalement), et peut réaliser la comparaison avec le cas du patient. J’essaye de reproduire ces mécanismes grâce à l’informatique. Je cherche donc à recréer en fonction de l’anatomie spécifique du patient quelle serait par exemple son image de TEP s’il n’était pas malade. À partir d’une base de données d’images anatomiques et TEP de sujets sains, et de l’anatomie du patient, j’arrive à recréer l’image de TEP « saine » du patient. Ensuite, par comparaison à la véritable image TEP, je peux définir les zones qui comportent une anomalie. Il existe plusieurs utilités à cette méthode : il s’agit d’un outil visuel pour le clinicien, notamment pour ces centres où il n’y a pas forcément de spécialistes en neurologie. Coté méthodologie, il est également possible d’utiliser ces cartes d’anomalies comme entrée d’algorithmes d’aide au diagnostic, et ainsi en améliorer l’interprétabilité.
La démence est une maladie progressive, avec un avancement différent d’un sujet à l’autre. Ce genre d’approches pourrait dans l’avenir améliorer la prédiction de la progression de la maladie, ce qui serait bien sûr bénéfique pour le patient et son entourage, mais ce qui permettrait aussi de mieux concevoir les essais cliniques ayant pour objectif de freiner la maladie.
Mon travail à l’ICM, situé au cœur de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, est inscrit dans un projet pluridisciplinaire, en interaction avec des neurologues, radiologues et médecins nucléaires. Pour les aspects méthodologiques, je suis en lien avec d’autres chercheuses et chercheurs en informatique via le GdR Madics par exemple ou Prairie, l’Institut Interdisciplinaire d’Intelligence Artificielle de Paris.