Nouveaux modèles d’interactions spectrales dans les enregistrements cérébraux

Distinctions Signal

Tom Dupré la Tour a reçu le prix de thèse Signal, Image et Vision 2019 décerné par le Club EEA, le GRETSI et le GdR ISIS. Ce prix récompense ses travaux de recherche sur de nouveaux modèles pour l’analyse de séries temporelles neurophysiologiques, réalisés au sein du Laboratoire Traitement et Communication de l’Information (LTCI - Télécom ParisTech/Institut Carnot).

Lorsqu’on enregistre l'activité électrique du cerveau des mammifères, on observe de fortes oscillations, et il est donc naturel de décomposer le signal en bandes de fréquences. On parle alors du spectre du signal. Certaines bandes particulièrement significatives portent un nom spécifique, alpha, bêta, gamma. Une telle décomposition est souvent le point de départ de l’analyse de ces enregistrements. Bien que cette approche ait eu un impact significatif en neuroscience, cela peut conduire à une représentation trompeuse du signal. En effet, il est courant de voir les études neuroscientifiques ne s’intéresser qu’à des bandes de fréquences trop étroites, ce qui s’avère trop réducteur.

Plus généralement, un grand nombre d’études neuroscientifiques utilisent des recettes ad hoc pour analyser les signaux et décrire leurs propriétés. Ces méthodes sont souvent basées sur des calculs de corrélations, et ne permettent pas de quantifier la part du signal expliquée par le modèle. En conséquence, même si ces métriques peuvent fournir des informations raisonnables sur le signal, une comparaison légitime et contrôlée des paramètres, et donc des résultats, est impossible. C’est le cas notamment d’un phénomène connu sous le nom de couplage phase-amplitude (phase-amplitude coupling, PAC). Le PAC consiste en un couplage entre deux composantes d’un signal, d’une part la phase d’une composante basse fréquence, et d’autre part l’amplitude d’une composante haute fréquence. Ce phénomène est encore peu compris, mais il pourrait être un moyen pour le cerveau de synchroniser des régions éloignées spatialement.

Le couplage phase-amplitude (PAC). (a) Signal d’un enregistrement intracrânien chez le rat, filtré autour de 2.5 Hz (b), et 80 Hz (c). Le PAC, surligné en jaune, consiste en une augmentation de l’amplitude des hautes fréquences, synchronisée avec la phase de l’oscillation basse fréquence.
Le couplage phase-amplitude (PAC). (a) Signal d’un enregistrement intracrânien chez le rat, filtré autour de 2.5 Hz (b), et 80 Hz (c). Le PAC, surligné en jaune, consiste en une augmentation de l’amplitude des hautes fréquences, synchronisée avec la phase de l’oscillation basse fréquence.

Dans ce travail, les chercheurs se sont inspirés de modèles développés dans les années 80 pour le traitement de la parole et en économétrie pour construire des modèles autorégressifs pilotés. Ces modèles donnent une représentation spectrale du signal conditionnellement à un autre signal, et sont ainsi en mesure de capturer le PAC dans un modèle probabiliste et paramétrique. Proposer un modèle probabiliste du signal permet de comparer différents choix de paramètres de façon légitime. Cette approche diffère fondamentalement des mesures traditionnelles pour analyser le PAC, car elle est basée sur les données, et non sur des choix arbitraires de paramètres.

Grâce à la sélection de paramètres, ces modèles fournissent de nouvelles informations sur le PAC. Par exemple, ils permettent de discuter de l’influence de l’amplitude de la composante basse fréquence, de fournir une estimation de la direction du couplage via un paramètre de retard, ou encore de décrire les propriétés spectrales de la composante basse fréquence. En outre, ces modèles sont plus robustes que les autres approches lorsque les données sont en quantité limitée, ce qui est souvent le cas en sciences du vivant. Ces modèles offrent des possibilités d’analyse originales, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes sur le fonctionnement de notre cerveau.

Tom Dupré la Tour est actuellement en post-doc à l'Université de Californie Berkeley et continue ses recherches au sein du Gallant Lab.

(A gauche) Enregistrement intracrânien chez le rat. (A droite) En appliquant la méthode avec différents filtres pour le signal pilote, on construit un comodulogram, qui quantifie le couplage entre chaque paire de fréquence. L’axe horizontal correspond à la basse fréquence (en Hz), l’axe vertical à la haute fréquence (en Hz), et la barre de couleur à la mesure du PAC extraite des modèles autorégressifs pilotés (UA).
(A gauche) Enregistrement intracrânien chez le rat. (A droite) En appliquant la méthode avec différents filtres pour le signal pilote, on construit un comodulogram, qui quantifie le couplage entre chaque paire de fréquence. L’axe horizontal correspond à la basse fréquence (en Hz), l’axe vertical à la haute fréquence (en Hz), et la barre de couleur à la mesure du PAC extraite des modèles autorégressifs pilotés (UA).

Référence

Dupré la Tour, T., Tallot, L., Grabot, L., Doyère, V., Van Wassenhove, V., Grenier, Y., & Gramfort, A. (2017). Non-linear auto-regressive models for cross-frequency coupling in neural time series. PLoS computational biology, 13(12), e1005893.