Prix Jeunes Talents France 2019 : L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science
Chaque année, la Fondation L’Oréal récompense l’excellence de la recherche féminine en France et à l’international à travers plusieurs distinctions. En 2019, 35 jeunes chercheuses françaises viennent de recevoir une bourse Jeunes Talents France for Women in Science, dont quatre sont rattachées à des laboratoires de l’INS2I.
Anastasia Bolotnikova
Doctorante au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM - CNRS/Université de Montpellier)
Anastasia Bolotnikova a grandi dans le petit village de Kallaste, situé en Estonie, au bord du lac Peïpous, marquant la frontière entre son pays et la Russie. Dès le lycée, elle commence à apprendre le français et obtient l’équivalent du baccalauréat, spécialité sciences informatiques. Elle décide de continuer ses études supérieures dans ce domaine, et c’est en master qu’elle a l’opportunité, grâce au programme Erasmus+, d’aller travailler plusieurs mois dans le laboratoire d’informatique, robotique et microélectronique de Montpellier. Elle y demeure pour y conduire sa thèse « CIFRE », c’est-à-dire une thèse développée à mi-chemin entre un laboratoire public et une entreprise privée.
Dans le cadre de ses travaux, Anastasia Bolotnikova travaille sur un sujet un peu particulier : un robot de type humanoïde, baptisé Pepper, produit par SoftBankRobotics1 et conçu pour devenir un assistant personnel, une sorte de compagnon du quotidien. La doctorante cherche à le programmer et le doter de nouvelles fonctions, afin de lui permettre d’aider en particulier les personnes fragiles dans les tâches physiques qui nécessitent l’apport d’un effort ou d’un appui externe à leurs mouvements.
Pepper doit donc évoluer pour apprendre à interagir avec des humains. Le projet de recherche d’Anastasia Bolotnikova tente d’apporter des solutions au moyen de technologies de robotique de service et de l’intelligence artificielle. Elle s’intéresse particulièrement à tenter de le doter du sens du toucher et à la planification et au contrôle des mouvements de ce type de robot, en interaction physique avec les personnes. Pour être un compagnon utile, Pepper apprend à reconnaître les émotions et les intentions et à adapter l’ensemble de ses gestes aux mouvements de tout un chacun. Exemple concret : si la personne à mobilité réduite tend la main, Pepper doit être capable de décrypter ce mouvement dans sa dimension sémantique pour s’approcher de la personne et l’aider.
Pour le moment, ce robot humanoïde n’est pas assez puissant pour aider des personnes fragiles à se déplacer, et la chercheuse en informatique compte sur le travail de ses collègues ingénieurs pour construire une machine plus robuste, qu’elle pourra ensuite programmer pour arriver à ses fins.
La suite de son parcours de recherche ? Anastasia Bolotnikova l’imagine à conduire des essais pilotes sur des patients au sein de centres spécialisés et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), aux côtés de chercheuses françaises de son domaine et plus largement européennes. Grâce à ses travaux, la doctorante espère contribuer à briser les stéréotypes de genre, en démontrant aux jeunes filles que la robotique et l’informatique sont des domaines où elles ont parfaitement leur place.
- 1A. K. Pandey and R. Gelin, “A Mass-Produced Sociable Humanoid Robot Pepper: The First Machine of Its Kind” IEEE Robotics & Automation Magazine, 2018.
Marie Kerjean
Post-doctorante à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria Rennes - Bretagne Atlantique), Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (LS2N - CNRS/École Centrale de Nantes/Université de Nantes/Institut Mines-Télécom)
Grâce à la logique, les mathématiques peuvent servir de modèles aux programmes informatiques et permettre d’en saisir les propriétés essentielles. Ces modèles rendent aussi possible l’interprétation calculatoire, c’est-à-dire via un ordinateur, de notions mathématiques. Ce lien sémantique fort entre les mathématiques et l’informatique éclaire d’un jour nouveau les premières, et dote la seconde de bases solides pour la programmation moderne, qui utilise des notions de plus en plus complexes. C’est en particulier vrai pour les modèles continus du calcul qui pourraient servir de fondations aux calculs d’intelligence artificielle.
Par le biais de l’ordinateur, l’informatique peut également jouer le rôle d’outil afin de démontrer des théorèmes mathématiques, en faisant appel à la preuve formelle. C’est ce à quoi s’attachent les travaux récents de Marie Kerjean, qui cherche à formaliser des théories mathématiques au sein de l’assistant à la preuve Coq et à y développer des bibliothèques d’analyse. Comment fonctionne ce logiciel ? Afin de certifier des programmes et de vérifier des preuves mathématiques, il utilise des démonstrations qu’il construit de manière semi-automatique. Coq a ainsi été rendu célèbre en formalisant la preuve du théorème de Feit-Thompson, dont la démonstration s’étendait sur 250 pages.
De son enfance passée en Bretagne dans le Finistère, Marie Kerjean a gardé le goût des balades en bord de mer, qu’elle aime encore faire dès que son emploi du temps lui permet, accompagnée de ses enfants.
Les bibliothèques d’analyse créées par l’équipe dont Marie Kerjean fait partie, pourront à terme assister les mathématiciens dans leur utilisation du logiciel Coq qu’ils utilisent pour conduire leur recherche, ou encore contribuer à la certification de programmes de sécurité et de cryptographie. L’objectif à moyen terme de ces travaux serait d’attribuer à ce logiciel de nouvelles fonctions, rendant possible la manipulation d’objets mathématiques complexes, comme ceux utilisés en physique théorique, conjuguant mathématiques, physique et informatique.
En tant que femme de science, Marie Kerjean est attentive à la représentativité des chercheuses dans son environnement de travail, où seulement 5 à 10 % de ses collègues sont des femmes. Elle se souvient avoir elle-même parfois douté, au point d’hésiter à franchir le seuil de l’École normale supérieure de Lyon, alors qu’elle y était bel et bien admise. Aujourd’hui, cette jeune maman espère susciter des vocations et encourage toutes les jeunes filles intéressées par les sciences à ne se fixer aucune limite.
Pour en savoir plus : actualité sur Marie Kerjean publiée par l'Inria à l'occasion de sa distinction Jeunes Talents 2019 (08/10/19)
Alice Pellet-Mary
Doctorante au Laboratoire d’informatique du parallélisme (LIP - CNRS/ENS de Lyon/Inria/Université Claude Bernard Lyon 1)
Alice Pellet-Mary a toujours eu des facilités en mathématiques, elle qui a enchaîné avec brio ses classes préparatoires, l’École normale supérieure de Lyon et l’Agrégation, avant de se lancer dans une thèse d’informatique. Ce qu’elle préfère : le challenge inhérent à la résolution de problèmes « complexes ». Et par « complexes », elle entend des problèmes dont la solution, calculée par les ordinateurs actuels les plus puissants du monde, prendraient plusieurs millénaires !
Ce type de problème extrêmement sophistiqué a une application concrète et très utile : la cryptographie ou le remplacement d’un message simple par un code complexe. La cryptologie, visant à créer et étudier des méthodes de chiffrement, est omniprésente dans notre société, puisque c’est elle qui nous permet de communiquer sur internet nos informations sans qu’elles soient lisibles par des personnes mal intentionnées.
Bien que les protocoles de chiffrement utilisés aujourd’hui soient supposés sûrs, une menace se dessine pour notre sécurité virtuelle : il s’agit de l’ordinateur quantique. Ce dernier, qui n’existe encore que théoriquement, pourrait rendre les protocoles de sécurité actuels caduques. Quand les ordinateurs existants prendraient des milliers d’années pour déchiffrer un code, cette machine, grâce aux avancées de la physique, pourrait le faire dans un temps raisonnable à l’échelle humaine. Pour remplacer ces protocoles, la cryptographie à base de réseaux euclidiens est l’une des pistes les plus prometteuses. L’objectif de la thèse d’Alice Pellet-Mary est d’étudier la difficulté de certains problèmes mathématiques sous-jacents à l’introduction de ces réseaux pour déterminer s’ils peuvent être utilisés ou non pour la construction de nouveaux protocoles cryptographiques.
Si l’informatique est un milieu plutôt masculin, ce n’est pas le cas de l’équipe de recherche d’Alice Pellet-Mary, qui réunit plusieurs doctorantes et post-doctorantes. Une ombre au tableau tout de même : très peu de femmes ont un poste permanent. Une situation que la doctorante désire faire changer et qui la porte à pousser la qualité de sa recherche encore plus loin.
Mélissa Rossi
Doctorante au Département d’information de l’École normale supérieure (DI ENS - CNRS/ENS/Inria)
Mélissa Rossi grandit en Provence et développe d’elle-même et très jeune, un talent pour l’abstraction et la logique. Soutenue par sa famille, en particulier par sa grand-mère qui a le regret de ne pas avoir pu mener des études supérieures, elle intègre une école d’ingénieur à Paris où elle est encouragée par certains de ses professeurs, à poursuivre son chemin vers la recherche.
C’est là qu’elle découvre la cryptographie, cette science des codes secrets, de leur codage ou de leur décodage. Cette discipline, à l’interface entre les mathématiques et l’informatique, a pour principal objectif d’assurer la sécurité des données confidentielles. Elle étudie en particulier le niveau de sécurité des codes et cherche à comprendre si elle est en mesure de les « casser ». Autrement dit, à l’instar d’une pirate informatique, elle cherche à déchiffrer des codes pour accéder à des informations cachées, mais toujours avec l’objectif final d’améliorer les protocoles de sécurité et de protéger nos données.
Dans un domaine où les femmes sont fort peu présentes, Mélissa Rossi excelle d’ores et déjà dans son champ de recherche, et participe même à une mission extrêmement importante pour la cryptographie : anticiper l’arrivée de l’ordinateur quantique.
Cet outil n’est encore que théorique, mais pourrait rapidement devenir une menace pour la sécurité des données privées, avec une puissance de calcul capable de casser nos codes de sécurité actuels. Nos données bancaires, médicales, militaires ainsi que nos identités (passeports, cartes d’identités) ou encore nos communications privées, sont pour l’instant protégées mathématiquement.
Avec l’ordinateur quantique, cela pourrait changer. Il est donc impératif de créer de nouveaux algorithmes de chiffrement incassables dans le futur : c’est l’une des missions à terme des recherches conduites par Mélissa Rossi.
Source :
textes du dossier de presse « Prix Jeunes Talents France 2019 » L’ORÉAL-UNESCO POUR LES FEMMES ET LA SCIENCE