Stéphane Régnier : « Toucher et interagir avec le micromonde »

Distinctions Robotique

Stéphane Régnier devient membre senior de l’Institut Universitaire de France au 1er octobre 2015. Dans son domaine de la microrobotique, il travaille pour que nous puissions aller au-delà des capacités humaines pour toucher et déplacer des objets nanométriques aussi facilement que nous le faisons dans notre monde macro. Pour cela il s’intéresse à toute la chaîne, de la compréhension de la perception haptique des phénomènes jusqu’aux forces physiques mises en jeu à cette échelle microscopique.

Dans votre projet, vous tentez de recréer une impression de toucher à une échelle de la cellule. Comment est-ce possible ?

Mon projet de recherche a pour ambition de proposer des outils et des méthodes pour interagir avec le micromonde, monde intangible et invisible aux capacités humaines. Pour des interactions contrôlées de l’échelle de la cellule à l’échelle de la molécule, nous avons une approche originale puisque nous étudions le système de A à Z, y compris la compréhension du toucher. L’étude scientifique du toucher est beaucoup moins développée que celle de la vision ou de l’audition (sans doute car cela handicape moins de personnes). L’ERC que je co-pilote avec Vincent Hayward s’intéresse à la partie interface haptique, c’est-à-dire au retour d’effort quand nous touchons quelque chose. Mais dans une échelle équivalente à un centième de l’épaisseur d’un cheveu, toute variation est juste énorme. C’est pourquoi il nous faut des interfaces particulières à haute fidélité et sans contact pour pouvoir rendre les efforts car sinon nous allons uniquement ressentir les frottements du système. Pour donner à l’humain la capacité de ressentir le micromonde, nous couplons cette interface haptique avec un coefficient multiplicateur qui peut atteindre 1 milliard à un système microrobotique.

Sauf qu’à une échelle nanométrique, les lois de la physique sont totalement bouleversées.

C’est effectivement un des défis majeurs pour les nanosciences que la mesure des propriétés physiques des micro-objets. Une des propriétés les plus remarquables est que la force surfacique est beaucoup plus importante que la force volumique. Cela signifie que les objets n’ont pas de poids, mais qu’ils collent aux surfaces. Il faut imaginer que c’est comme si vous vouliez déplacer une bouteille. Dans le monde macro, vous l’attrapez et la déposer plus loin. Dans le micromonde, si vous faites cela, l’objet va rester coller à vos « doigts ». Il faut donc mettre en place des stratégies originales où on utilise un seul doigt pour venir coller sur l’objet et le déplacer. Nous utilisons la physique pour essayer d’avoir des stratégies intelligentes de manipulation et de contrôle. 
Autre souci, nous sommes confrontés à un principe fondamental de la dynamique : tout déplacement dans le micromonde se fait à une vitesse phénoménale. Les proportions sont totalement bouleversées à cette échelle, un déplacement très précis est équivalent à apporter votre bouteille à 1km de là, et comme il n’y a pas de masse et que vous exercez une force intense par rapport à l’environnement, vous créez une vitesse d’accélération de votre objet équivalente quasiment à celle d’une fusée ! 
Au niveau technique, nous sommes déjà capables de toucher des choses très fines, comme de ressentir le contact d’une fourmi avec une goutte d’eau. Mais pour se déplacer à haute résolution, il faut éliminer beaucoup de "bruit" autour : nous faisons par exemple nos expériences quand il n’y a plus de métro pour éviter qu’il fasse bouger l’expérimentation. Notre défi pour la microrobotique se concentre particulièrement sur la conception mécatronique de ces systèmes et leur contrôle à hautes résolutions temporelle et spatiale pour être capable d’interagir avec les micro-objets. Nous travaillons aussi avec des psychologues pour étudier le fonctionnement des utilisateurs. Est-ce que quelqu’un qui ne connaît pas les règles physiques du micromonde va savoir utiliser le système ? Pour le moment, tout fonctionne un peu, mais nous espérons finaliser parfaitement d’ici cinq ans, notamment grâce aux interactions avec les utilisateurs.

Les objets que nous pouvons manipuler sont de natures différentes. Ils peuvent être artificiels comme des MEMs, comme tous les composants type membranes de graphène, nanofils ou nanotubes de carbone, bref toute la nanoélectronique du futur où il y a besoin d’une opération localisée. Les objets peuvent être aussi biologiques, comme des cellules ou des globules rouges pour des applications en ingénierie de la santé. Nous pourrions par exemple proposer de faire des injections cellulaires avec ressenti, tester la raideur de globules rouges pour diagnostiquer des maladies, étudier la mécanotransduction, c’est-à-dire comment la mécanique agit sur les cellules. Si en touchant une cellule, il est possible de changer son fonctionnement, nous pourrions imaginer faire des massages aux cellules pour qu’elles aillent mieux ! Enfin, il n’est pas nécessaire que les objets que nous manipulons soient physiques, ils peuvent aussi être numériques, notamment pour expérimenter des interactions avec les systèmes moléculaires. Dans le cas d’une simulation, nous recréons une logique de fonctionnement en réel avec des variations d’efforts identiques. Cela permettrait de tester des procédés actifs moléculaires pour des applications dans le domaine de la pharmacologie. 

ICRA2014 - Stability and Transparency Analysis of a Teleoperation Chain For Microscale Interaction

Audiodescription

Contact

Stéphane Régnier
Professeur à Sorbonne Université, membre de l'ISIR