Un financement ERC pour comprendre la propagation des erreurs scientifiques

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La communauté scientifique est organisée de façon à détecter et corriger d’elle-même les erreurs publiées. Les filets de sécurité ne fonctionnent cependant pas toujours, et le projet NanoBubbles se penche sur le cas des vifs débats qui agitent la nanobiologie. Composée de chercheurs français et néerlandais, cette équipe a obtenu plus de huit millions d’euros de financement européen pour vérifier la reproductibilité de certains travaux et développer des algorithmes capables de décortiquer automatiquement les articles scientifiques.

En plein essor depuis les années 2000, la nanobiologie étudie l’impact et les applications des nanoparticules sur le monde du vivant. Cette discipline produit d’importants résultats qui suscitent parfois des controverses méthodologiques. Le projet NanoBubbles se penche sur la question afin de savoir pourquoi, quand et comment la science échoue à se corriger elle-même. Cette équipe internationale vient de recevoir une bourse ERC Synergy, d’un montant de 8,3 millions d’euros sur six ans.

Cette remise en question tire ses origines des travaux de Raphaël Levy, professeur à l’Université Sorbonne Paris Nord et coordinateur de NanoBubbles, qui a montré qu’une famille de nanoparticules, dites « stripy », n’existe en réalité pas. Ces structures, pourtant décrites dans des articles publiés dans les plus grandes revues scientifiques, n’étaient en fait que des artéfacts de certains microscopes. Pour ce projet, il s’est entouré d’informaticiens, de sociologues et d’historiens.

« J’ai rejoint NanoBubbles en ma qualité de spécialiste de la détection des erreurs et de leur propagation dans la littérature scientifique, explique Cyril Labbé, maître de conférences à l’Université de Grenoble-Alpes et membre du Laboratoire d’informatique de Grenoble  (LIG - CNRS/Inria/Grenoble INP/Université Grenoble Alpes). Je décortique les articles grâce à des méthodes d’analyse du langage naturel, qui permettent d’en comprendre le contenu. Pour aller plus loin, il faut suivre et comprendre le cheminement des affirmations et contre-affirmations à travers la littérature, par exemple en analysant les contextes de citation ou les réseaux sociaux. »

Nous voulons savoir pourquoi certaines tentatives de corrections d’erreurs n’aboutissent pas. 

Trois points controversés sont au centre des interrogations de NanoBubbles. D’abord, la capacité des nanoparticules à passer la barrière hématoencéphalique, c’est-à-dire savoir si les particules présentes dans le sang peuvent oui ou non entrer dans le cerveau. De même, peuvent-elles franchir la membrane des cellules ? Enfin, les chercheurs se pencheront sur l’adoption du terme « protein corona », une terminologie présentée comme nouvelle pour décrire un phénomène déjà connu, entraînant ainsi un potentiel oubli et/ou redécouvertes de connaissances préexistantes.

Pour aborder ces trois points, Raphaël Levy va par exemple vérifier la reproductibilité de certains travaux. Cyril Labbé développe de son côté des outils automatiques d’analyse textuelle pour comprendre sur quelles affirmations est basé un article scientifique, afin de repérer rapidement et en masse les papiers qui partent d’un postulat controversé, voire erroné. Mais cela ne peut pas se faire par la simple étude de la bibliographie, un chercheur peut tout à fait citer un article pour le contredire. Cyril Labbé utilise également des techniques d’apprentissage automatique, et ce volet permettra la constitution de corpus d’articles dédiés à l’apprentissage.

Le traitement automatique du langage naturel extrait des informations dans un format qui permet de raisonner sur leur propagation. 

Cyrus Mody, historien et sociologue des sciences à l’université de Maastricht (Pays-Bas), et Willem Halffman, spécialiste des politiques scientifiques à l’université de Radboud de Nimègue (Pays-Bas), complètent le cœur de NanoBubbles. Ils scrutent les facteurs non scientifiques qui entravent parfois le bon fonctionnement de la recherche. Les conclusions de NanoBubbles devraient faire avancer la nanobiologie, mais la discipline est aussi considérée comme un cas d’application de méthodes plus générales. Le projet va ainsi fournir des outils aux autres domaines scientifiques, afin de mieux affronter leurs controverses.

Ce projet hautement interdisciplinaire inclut également la sociologue Marianne Noël du LISIS1 , la bibliothécaire et linguiste Frédérique Bordignon, la philosophe britannique Yasemin J Erden ainsi que les informaticiens Guillaume Cabanac de l’IRIT2 et François Portet du LIG.

  • 1Laboratoire interdisciplinaire sciences, innovations, sociétés (LISIS - CNRS/Université Gustave Eiffel/INRAE).
  • 2Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT - CNRS/Université Toulouse 1 Capitole/Université Toulouse 2 Jean Jaurès/Université Toulouse 3 Paul Sabatier/INP Toulouse)

Contact

Cyril Labbé
Professeur à l'Université Grenoble Alpes et membre du LIG